“Des patientes privées de soins” : les femmes paient le prix des coupes budgétaires dévastatrices de Trump
Par Andrew Green, 2 juin 2025
(extrait de la Newsletter Impact des Glorieuses du 6 juin 2025)
L’un des tout premiers actes de Donald Trump en tant que président a été de geler les budgets de l’aide internationale. Dans les mois qui ont suivi, il a progressivement démantelé l’agence américaine de développement, USAID, et supprimé la quasi-totalité de ses programmes.
En février, Impact publiait une interview avec une des plus grandes expertes en développement international, qui prédisait que ces attaques contre les financements de l’aide internationale auraient des conséquences dramatiques pour les femmes et les filles. Mais à l’époque, nous ne pouvions pas encore mesurer l’ampleur réelle des dégâts.
Un programme qui était censé avoir été en grande partie épargné par les coupes budgétaires est le Plan d’urgence du président pour la lutte contre le sida, ou PEPFAR, dont on estime qu’il a sauvé 26 millions de vies dans le monde depuis son lancement en 2003. Le secrétaire d’État Marco Rubio a récemment affirmé devant le Sénat américain que le programme était opérationnel dans l’ensemble. Mais la réalité sur le terrain est toute autre.
Depuis trois mois, le journaliste Andrew Green mène l’enquête dans plusieurs pays bénéficiaires du soutien de PEPFAR. Son projet en cours, Forsaken (Les laissé·es pour compte), documente les conséquences de ce chaos budgétaire au travers des récits des personnes qui en subissent les effets les plus lourds : les personnes qui reçoivent des traitements contre le VIH, les soignant·es et les activistes.
Son travail montre que la suspension des financements et l’incertitude sur l’avenir de la lutte mondiale contre le VIH ont des conséquences dévastatrices, qui touchent de façon disproportionnée les femmes. Aujourd’hui, nous vous partageons les parcours de trois femmes ougandaises directement affectées par les diminutions du budget de PEPFAR, en collaboration avec le projet Forsaken.
Lydia Nabirye est morte à cause des coupes budgétaires infligées par Donald Trump aux programmes d’aide internationale des États-Unis.
Lydia Nabirye tenait un petit restaurant en bord de route avec sa mère, dans l’est de l’Ouganda. Elle était séropositive, tout comme son fils, qui est aussi handicapé. Sa mère, Saida, raconte que les rires de sa fille attiraient les client·es.
Elle était si joyeuse. Elle faisait venir tellement, tellement de client·es.
Mais quand son fils avait trois ans, et que la famille a peiné à obtenir du soutien pour ses handicaps, Lydia Nabirye est tombée en dépression. Elle a commencé à refuser de prendre son traitement contre le VIH. Elle aurait pu mourir.
Mais l’équipe de la clinique du VIH où elle allait, à vingt minutes de route sur des routes en mauvais état, a remarqué son absence. Elles ont contacté une association locale, qui a envoyé une travailleuse sociale, Fatuma Bilibawa, chez la patiente.
Fatuma Bilibawa arrivait chaque matin en moto-taxi pour regarder Lydia Nabirye prendre son traitement, et pour lui parler de toutes les opportunités que la journée pourrait avoir en réserve.
Je lui disais qu’elle avait encore le temps de vivre tellement de choses. Que la vie était longue. Je lui disais qu’elle ne serait pas abandonnée, qu’elle devait continuer de prendre ses médicaments pour rester en bonne santé.
Ce service était une véritable bouée de sauvetage dans un pays où les soins de santé mentale sont quasi inexistants. Au bout de quelques mois, Lydia Nabirye allait mieux, et elle a commencé à poser des questions à Fatuma Bilibawa : avait-elle encore une chance de devenir infirmière un jour ? Elle recommençait à envisager son avenir.
Elle m’a dit qu’elle voulait soigner les gens de sa communauté.
Puis, le 24 janvier, l’administration Trump a suspendu le programme qui employait Fatuma Bilibawa. Quelques semaines plus tard, les autorités américaines l’ont entièrement supprimé. La travailleuse sociale a été forcée d’abandonner les personnes dont elle prenait soin, dont Lydia Nabirye.
Je n’avais pas assez de soutien. On m’a simplement appelée pour me dire qu’elle était malade. Elle ne voulait pas voir d’autres travailleurs sociaux. Elle était épuisée de tout.
Lydia Nabirye a arrêté de prendre ses médicaments contre le VIH. Sa santé s’est détériorée rapidement. Elle est morte le 26 mars.
Saida s’occupe désormais seule de son petit-fils. L’enfant demande toute son attention, ce qui l’a obligée à fermer le petit restaurant qu’elle tenait avec sa fille.
Je suis toute seule maintenant que les services ont été arrêtés. Il n’y a plus rien pour m’aider.
Quand l’administration Trump a annoncé le gel des financements, la plupart des services liés au VIH dans la ville de Gulu, au nord du pays, ont été interrompus. La clinique VIH spécialisée sur laquelle Nassa Michelle Mich comptait depuis des années pour recevoir son traitement antirétroviral, ou ART, n’a pas été épargnée.
La jeune femme a été diagnostiquée positive au VIH en 2015, alors qu’elle n’avait que 13 ans, et depuis, elle a toujours suivi son traitement rigoureusement. Les services qu’elle recevait lui ont tellement apporté qu’elle a fini par rejoindre la clinique en tant que pair aidante et éducatrice, pour soutenir d’autres jeunes vivant avec le VIH.
Mais aujourd’hui, les personnes séropositives ne savent plus où se tourner pour avoir accès à leurs traitements. Elles ont été redirigées vers le seul point de distribution restant : la clinique ambulatoire de l’hôpital public principal de Gulu.
Notre hôpital de jour est complètement saturé. La dernière fois que j’y suis allée pour avoir accès à des soins, j’ai passé toute la journée là-bas sans vraiment recevoir de traitement. Les gens qui y travaillent sont… comment dire… désagréables. Ils sont tout le temps en colère. Ils ne prennent pas le temps de nous traiter comme des patient·es, comme des client·es.
Et ils annoncent les résultats des gens à voix haute. Imagine, tu es là à attendre ton traitement antirétroviral, et quelqu’un crie : “Ah, Michelle, viens chercher ton ART !” Et tout le monde te regarde. Ça me tuerait, vraiment.
La personne responsable de la clinique m’a dit qu’elle s’inquiétait d’une augmentation du nombre de patient·es dont la charge virale n’est plus indétectable. Même celles et ceux dont la charge virale était supprimée risquent de voir leur état se détériorer.
Les personnes vivant avec le VIH redeviennent “détectables” quand elles arrêtent de prendre leur traitement, et que leur charge virale réaugmente. Cela peut entraîner une résistance au traitement précédent. À terme, sans reprise du traitement, elles mourront.
Ces jeunes vont disparaître.
Florence Amito est responsable de la clinique de traitement du Bardege Health Center III, un petit établissement public situé dans la banlieue de Gulu. C’est un endroit apprécié par les patient·es qui vivent en dehors de la ville, parce qu’il est moins intimidant qu’un l’hôpital.
Un programme financé par les États-Unis avait affecté sept travailleur·es en santé communautaire à la clinique de Florence Amito. Mais l’administration Trump a supprimé leurs postes, ce qui signifie qu’elle se retrouve quasiment seule à gérer un programme qui fournit des traitements contre le VIH à 540 personnes.
La soignante explique qu’elle peine déjà à prendre en charge les personnes qui se présentent à la clinique. Elle ne peut plus du tout suivre celles qui ne viennent plus.
Certain·es patient·es vivent très, très, très loin et ne peuvent pas accéder aux centres de soins, parce que les routes sont en trop mauvais état. Et puis certain·es sont trop âgé·es pour se déplacer.
Nous apportions la clinique à la communauté. Nous allions sur place et fournissions tous les services dont la personne avait besoin, directement dans son environnement.
Les distances sont énormes. On ne peut pas y aller à pied. Il faut un véhicule. Et parfois, même le véhicule ne passe pas. Il nous arrive de devoir garer la voiture à deux kilomètres des logements, puis de finir à pied pour assurer les soins.
Nous n’avons pas pu retourner dans les communautés. Et j’ai bien peur de vous dire que ces patient·es sont toujours privé·es de traitement.
Florence Amito est submergée à l’idée de voir s’effondrer des années de travail pour s’assurer que les personnes ougandaises les plus isolées et les plus vulnérables aient accès aux soins pour le VIH.
Des gens vont mourir. C’est douloureux à dire. Mais des vies vont être perdues.
— Andrew Green est un journaliste spécialisé dans la santé mondiale et les inégalités. Avec son projet, Forsaken, il continue de documenter les conséquences des coupes budgétaires de l’administration Trump dans le financement de PEPFAR.