Déclaration commune en matière de GPA (Gestation pour Autrui)

Déclaration commune en matière de GPA (Gestation pour Autrui)

Les organisations féministes et de défense des droits humains demandent à la Commission européenne et au Parlement européen d’inclure le crime d’exploitation reproductive des femmes dans toutes leurs initiatives législatives, en tant que violence contre les femmes et traite des êtres humains.

Avant-propos

Par exploitation reproductive, nous entendons : l’interdiction de l’avortement, l’avortement forcé, la grossesse forcée, la maternité de substitution, le « don » d’ovocytes à autrui. Ces pratiques réduisent les femmes au rôle de reproductrices pour des tiers, au détriment de leur santé et de leurs droits humains. Elles doivent donc être prises en compte dans tout instrument traitant de la violence à l’égard des femmes.

Cette déclaration porte spécifiquement sur la maternité de substitution.

La maternité de substitution est la pratique sociale qui consiste à recruter une femme pour porter et donner naissance à un ou plusieurs enfants, conçus ou non avec ses propres ovocytes, dans le but de le, ou les, remettre, selon un accord ou un contrat par lequel elle, renonçant à la filiation et à ses droits parentaux, à une ou plusieurs personnes (appelées commanditaires, clients ou acheteurs[1] ) qui souhaitent être désignées comme parents du nouveau-né[2] .

La maternité de substitution implique la marchandisation des femmes, la marchandisation et la réification du nouveau-né, la traite des êtres humains et la violation de la dignité humaine tant de la femme exploitée comme « mère porteuse » que du nouveau-né, ce qui porte atteinte aux droits de la femme et de l’enfant.

Directive du Parlement européen et du Conseil de l’Europe relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

Dans ses efforts pour mettre à jour la notion de violence dans cette directive, la Commission européenne devrait aller plus loin et y inclure la violence reproductive qui touche exclusivement les femmes.

Aujourd’hui, en Europe, la référence en matière de violence masculine contre les femmes est la Convention d’Istanbul.[3]

La Convention d’Istanbul définit la VIOLENCE CONTRE LES FEMMES comme « tout acte de violence fondé sur le sexe qui cause, ou est susceptible de causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, y compris la menace de tels actes et la privation coercitive ou arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée« . Elle reconnaît également que la violence à l’égard des femmes constitue « une violation des droits humains et une forme de discrimination à l’égard des femmes ».

Cependant, la Convention d’Istanbul a plus de 10 ans. La mondialisation et les nouvelles technologies ont facilité l’apparition de nouvelles formes de violence fondées sur le sexe, comme la cyber-violence. Pour cette raison, et compte tenu de l’absence de ratification par certains États de l’UE, la Commission européenne s’est engagée à créer une nouvelle directive qui se propose d’aborde de manière exhaustive toutes les formes de violence à l’égard des femmes, liant les États membres à leur prévention et à leur éradication.

Pour devenir un instrument juridique européen véritablement complet qui ne laisse aucune femme ni aucune fille de côté, la violence infligée aux femmes par l’exploitation reproductive doit être incluse dans la nouvelle directive.

L’exploitation reproductive est une industrie de plusieurs milliards de dollars en croissance rapide et une forme de violence contre les femmes. Pour satisfaire les désirs parentaux de tierces personnes, les femmes sont soumises à des violences physiques, économiques, médicales et psychologiques qui ont été largement documentées[4]. La capacité de reproduction des femmes ne devrait servir qu’à leurs propres projets de vie et de parentalité, et non à ceux des autres, ce qui relève de l’exploitation.

Dans le cas de la maternité de substitution, les mères exploitées comme « mères porteuses » renoncent à tous leurs droits tout au long du processus. Partout dans le monde, l’accord ou le contrat et/ou les règlements qui régissent cette pratique disposent d’êtres humains, que ce soit des mères exploitées en tant que « mères porteuses » ou des nouveaux nés (en les utilisant et en les privant de leurs libertés et de leurs droits). En Europe, la plupart des pays, conscients de cette violation des droits humains fondamentaux inscrits dans la Charte de l’UE, ont interdit cette pratique sur leur territoire. Toutefois, ces dispositions sont systématiquement remises en cause par l’avancée de la GPA transfrontalière.

Légitimer ou faciliter cette pratique revient à encourager la demande d’exploitation des femmes les plus vulnérables par les classes sociales les plus aisées. Pour satisfaire leur désir d’enfant, on leur laisse faire fi du respect des droits humains, au détriment des femmes, notamment celles issues des groupes les plus vulnérables sur le plan économique et social.

Compte tenu de tous ces éléments, les pratiques décrites ci-dessus comme violences reproductives, ancrées dans l’inégalité entre les femmes et les hommes et comme manifestation de la discrimination structurelle à l’égard des femmes, relèvent de la définition de la violence à l’égard des femmes [5] de la Convention d’Istanbul et, à ce titre, devraient être couvertes par la directive.

 

Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur la stratégie de l’UE en matière de lutte contre la traite des êtres humains (2021-2025)

Le trafic d’êtres humains invente chaque jour de nouvelles méthodes. À côté de la traite à des fins de prostitution et de la traite des enfants, la traite à des fins de reproduction se se développe de plus en plus rapidement..

Le Protocole de Palerme de l’ONU utilise trois critères pour que la traite soit considérée comme telle[6] :

– L’activité (recrutement, transport, réception ou accueil de personnes) ;

– Les moyens (menace, recours à la force, tromperie, coercition, abus de pouvoir, position de vulnérabilité, octroi ou réception de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement) ;

– Le but (exploitation des victimes).

Ces critères ont été adoptés par l’Union européenne dans sa définition de la traite et dans sa directive anti-traite de 2011. Le consentement de la victime à l’exploitation est indifférent si l’un des moyens susmentionnés a été utilisé.

La dignité humaine est la base même des droits fondamentaux et une valeur fondatrice de l’Union européenne (Article 2 du TUE). Selon l’article 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée« . Tout être humain a une dignité inviolable et intrinsèque, qui est une valeur universelle, et son corps doit être respecté en tant que partie intégrante de toute personne humaine.

Non seulement la maternité de substitution détruit directement la dignité humaine, mais elle répond aux trois critères de la traite. Les mères recrutées comme mères porteuses par des intermédiaires ou des clients peuvent être « transportées » dans le pays du client, ou dans un pays tiers pour contourner la loi, ou soumises à des restrictions de mobilité dans leur propre pays. Leur « consentement » supposé est souvent basé sur la manipulation, la tromperie ou la pression, en raison de leur vulnérabilité sociale et économique. Le résultat est un gain financier pour les parties impliquées (intermédiaires, psychologues, avocats, cliniques, personnel médical, agences de voyage), et l’obtention d’êtres humains nouveau-nés pour les clients.

La maternité de substitution transfrontalière apparaît comme une nouvelle forme de trafic d’êtres humains en raison de la mondialisation, de la mobilité accrue et du développement de nouvelles technologies numériques et/ou médicales, comme l’ont souligné certains comités de bioéthique[7] . Elle devrait donc être précisée et ajoutée à la directive révisée sur la traite des êtres humains.

En conclusion, la directive sur la violence à l’égard des femmes, si elle inclut l’exploitation reproductive dans son champ d’application, favorisera la prévention de la criminalité et la protection des femmes victimes et des droits des enfants. Elle contribuera à renforcer une autre valeur fondatrice de l’Union européenne, à savoir l’égalité entre les femmes et les hommes et l’accès aux droits fondamentaux découlant de la Charte des droits humains de l’Union européenne. L’Union européenne dispose déjà d’une base solide à cet égard, puisqu’elle a condamné à plusieurs reprises la gestation pour autrui :

– En 2015, comme une atteinte à la dignité humaine[8] ;

– En 2017, comme source de violations des droits humains, dans le cadre de la traite des êtres humains[9] ;

– En 2021, en raison de son impact sur la santé des mères exploitées par le biais de la maternité de substitution et de la rupture d’égalité entre les femmes et les hommes qu’elle représente [10] ;

– En 2021, en tant qu’exploitation sexuelle, au même niveau que l’exploitation sexuelle des femmes par les mariages forcés, la prostitution et la pornographie[11] ;

– En 2022, elle a réitéré toutes ses condamnations antérieures de la GPA dans le contexte dans le contexte de la guerre en Ukraine[12] .

Nous, signataires de cette déclaration commune, exigeons que la Commission européenne et le Parlement européen prennent systématiquement en compte dans leur travail législatif la maternité de substitution en tant que violence reproductive infligée aux femmes, en tant que traite des êtres humains et en tant que violation des droits des enfants.

Publié ici le 25 novembre 2022

 

 

Premières signatures

LEF – Lobby européen des femmes

ENoMW – Réseau européen des femmes migrantes

CAP International – Coalition internationale contre la prostitution

ICASM – Coalition internationale pour l’abolition de la gestation pour autrui (GPA)

Réseau Féministe « Ruptures »

 

[1] Les personnes qui agissent ou ont l’intention d’agir en tant que parent sur le marché de la maternité de substitution.

[2] http://abolition-ms.org/en/news/draft-international-convention-for-the-abolition-of-surrogacy/

[3] https://rm.coe.int/168008482e

[4]Sur les risques médicaux élevés encourus par les mères porteuses, des femmes en bonne santé qui n’ont pas de projet d’enfant pour elles-mêmes mais pour les autres : Gestational surrogacy : résultats de 10 ans d’expérience aux Pays-Bas. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1472648318305212 et aussi Risque de prééclampsie dans les grossesses résultant d’un double don de gamètes et d’un don d’ovocytes seul  https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30177040/

[5] Convention d’Istanbul. Article 3.a.

[6] Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/protocol-prevent-suppress-and-punish-trafficking-persons

[7Le comité de bioéthique espagnol note que « l’une des raisons de soutenir l’interdiction de la maternité de substitution altruiste pourrait résider dans l’incapacité de la loi à empêcher la maternité de substitution commerciale une fois que la maternité de substitution altruiste a été acceptée ». http://assets.comitedebioetica.es/files/documentacion/en/spanish_bioethics_committee_report_on_the_ethical_and_legal_aspects_of_surrogacy.pdf (page 26).

 

[8] http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2015-0470_FR.html

[9] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2018-0515_FR.html

[10] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0041_FR.htm

[11] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0025_FR.html

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