Antoinette Fouque : le pouvoir hypnotique de la domination féminin

Antoinette Fouque : le pouvoir hypnotique de la domination féminin

Antoinette Fouque : le pouvoir hypnotique de la domination féminin

Tribune in Libération, 3 avril 2014
Alors qu’un nouvel hommage doit être rendu à Antoinette Fouque ce samedi à Paris, des féministes de la première heure remettent en cause le mythe.

Antoinette Fouque est décédée le 20 février 2014. De vibrants hommages lui ont été rendus par ses proches et ses admirateurs, par des écrivains, des psychanalystes, des hommes et femmes politiques, des artistes et des chefs d’entreprise. Reprenant une dépêche erronée de l’AFP, la plupart des médias ont titré sur la disparition de la «fondatrice» ou «cofondatrice» du Mouvement de libération des femmes (MLF).

Faut-il rappeler, une fois de plus, que l’on peut fonder toutes sortes d’institutions – banques, associations, instituts, partis –, mais jamais un mouvement (1)  ? Tout ou presque a été dit sur cet épisode insolite, ajouté à celui du dépôt du nom MLF en marque commerciale, et qui signe une partie de ce qui fut, peut-être, l’exception féministe française.

On en retiendra ici un seul aspect, moins directement «politique» mais non moins déconcertant : celui du véritable culte, rendu par nombre de militantes mais aussi d’intellectuels, artistes et politiques renommés, à la personne d’Antoinette Fouque. Petit florilège : «Sans elle, il n’y aurait pas de mouvement des femmes possible», «Une pensée sans modèle, sans pair, sans maître, sans repos, capable de mettre le travail de la mort en échec, de renvoyer le négatif à son impasse», «C’est une voix à la fois insistante et retenue, chargée de passion, pleine d’une imagination créatrice, et révélatrice de secrets, une voix que je n’ai trouvée que dans Rimbaud.»

Que de tels textes, dignes des odes dédiées, au siècle dernier, à Staline ou Mao Zedong par Eluard, Aragon ou Jean Kanapa, n’aient pas depuis longtemps enterré leur destinataire sous le ridicule, voilà qui mérite que l’on s’y attarde un moment. On peut y voir la puissance, quasiment hypnotique, d’un dispositif d’emprise original, qu’une militante avait résumé lors d’une AG en disant que Psychanalyse et Politique (le groupe d’Antoinette Fouque), c’était, toutes proportions gardées, «Staline + Lacan + Rockefeller». Et on ne peut qu’être frappé par l’extraordinaire effet, tout à la fois de séduction et d’intimidation, produit par la combinaison intime de ces trois dimensions : le discours politique de la «juste ligne» (maternelle), la psychanalyse (sauvage) de l’inconscient et enfin l’opulence, inouïe, due à l’argent d’une militante fortunée allongée sur le divan d’Antoinette Fouque – laquelle cumulait donc les fonctions de leader politique, de chef d’entreprise des institutions commerciales du groupe et de «psychanalyste» de ses militantes-employées.

Le dispositif semble imparable, séduction, voire fascination, et intimidation (terreur parfois) perdurent jusqu’à aujourd’hui : parmi les femmes qui ont claqué la porte du groupe, les disciples autrefois fervents, les compagnons de route aujourd’hui dégrisés, rares sont ceux qui, en public du moins, ont tenté de témoigner de leur expérience.

On peut les comprendre : il est toujours difficile d’engager, même a posteriori, la lutte contre celui ou celle qui fut votre patron, ou votre chef politique, ou votre psychanalyste, peut-être votre amant(e) ; et quasiment surhumain de s’élever contre les quatre à la fois, surtout lorsqu’ils s’incarnent en une seule et même personne.

La jeune femme d’origine modeste a donc réussi, grâce au MLF qu’elle avait capté (2), à construire au fil des ans un «empire Antoinette Fouque». Elle avait accusé quiconque voulait signer un article ou préparer une thèse de chercher à «se faire un nom», ou «capitaliser sur le dos du mouvement» ; mais elle s’est approprié, sous son seul nom, le travail enthousiaste, militant, le plus souvent gratuit et toujours anonyme, de dizaines de femmes : c’est leur travail, jamais reconnu, qui a permis la conception, la réalisation, la diffusion du mensuel puis de l’hebdo Des femmes en mouvements, des livres et cassettes des Editions des Femmes (3), la marche de la librairie. Elle s’était réclamée d’une «révolution symbolique», mais elle a amassé au fil des ans un patrimoine matériel stupéfiant. A son décès, elle avait réuni entre ses seules mains la quasi-totalité (entre 50 et 99%) des parts d’au moins quatre SARL et six sociétés civiles immobilières (4). Elle jouissait donc de l’entière propriété d’un certain nombre de sociétés et biens immobiliers, dont un hôtel particulier rue de Verneuil (Paris VIIe), une luxueuse résidence entre Cannes et Saint-Tropez, une superbe abbaye en Normandie, une île en Bretagne, etc.

Est-ce à la marque commerciale «MLF» que vont rendre hommage samedi 5 avril les admirateurs d’Antoinette Fouque ? Ou à la confiscation par une seule d’une lutte collective ? Ou bien, qu’ils l’ignorent ou non, à un mythe, longuement et savamment fabriqué par une femme aux ambitions démesurées ?

(1) Sur l’affaire de la (non-)fondation du MLF, lireLibération du 7 octobre 2008, et le dossier «MLF : le mythe des origines», Prochoix n°46.

(2) Et déposé comme marque commerciale.

(3) Miraculeusement devenues, quelques années après leur création, Editons des Femmes-Antoinette Fouque…

(4) Leur liste peut être consultée sur différents sites d’information financière, tels celui du greffe du tribunal de commerce.
Par Christine Fauré, Liliane Kandel et Françoise Picq

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