Congrès international féministe des 3, 4, 5 décembre 2010

Congrès international féministe des 3, 4, 5 décembre 2010

Congrès international féministe des 3, 4, 5 décembre 2010

Les actes sont parus dans « Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques, sous la direction de Martine Storti et Françoise Picq, Editions iX, 2011)

Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques

© Photographies de Catherine DEUDON 2010 – Intervention dans la salle

Ci-dessous quelques interventions

Fatima Lalem, Responsable de l’Observatoire de l’Egalité à la Mairie de Paris

« Le féminisme comme facteur de transformation sociale »

Je veux remercier toutes les militantes de l’association des 40 ans du MLF qui ont pris de multiples initiatives tout au long de cette année. Pour le Maire de Paris et pour moi-même, c’était une évidence de soutenir ce combat. Plus qu’une évidence, une nécessité. Je voudrais dire merci à : Martine Storti, Françoise Picq, Liliane Kandel, Monique Dental, ainsi que Chahla Chafiq, Wassila Tamzali avec lesquelles j’ai eu le plaisir de participer à la préparation de ce congrès . Comme à l’image du Mouvement, cette préparation s’est faite dans une ambiance de sororité, de gaîté, et de vivacité mais aussi dans une ambiance où l’analyse et la réflexion se sont accompagnées d’un dialogue critique.

Les années 1970 ont été marquées par une mobilisation des femmes sans précédent, qui s’est caractérisée par un foisonnement d’idées, la constitution de groupes et d’espaces de débats multiples, d’actions nombreuses, spontanées ou organisées. Tout cela dans une même convergence fondamentale : celle d’une volonté farouche de remettre en cause de façon irréversible le rapport de domination, dans toutes ses composantes, d’un sexe sur l’autre. Voila ce qui constituait ce que l’on a appelé le Mouvement de libération des femmes qui voulait ériger les revendications féministes au rang de lutte politique avec une remise en cause radicale de l’oppression à tous les niveaux : du corps à l’insertion professionnelle en passant par la famille et la sexualité.

Les femmes du MLF ont été réellement révolutionnaires, faisant irruption et scandale dans une société machiste qui ne voulait ni les voir ni les entendre. Elles ont investi par leur discours et leurs actions l’espace public et le champ politique ouvrant le chemin de 40 ans de revendications et de luttes pour les droits des femmes. Et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, au détour d’une année de mobilisation la nouvelle donne féministe est profondément questionnée. Ainsi, porter un regard historique sur le Mouvement et ses évolutions en lien avec les mutations sociales qui ont transformé notre société participe non seulement de la compréhension du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui mais aussi de la mise en visibilité de l’apport du féminisme comme facteur de transformation sociale, hier comme aujourd’hui.

Le monde des années 70 n’est plus ! La mondialisation des enjeux socio- économiques, la révolution technologique, la crise économique et financière configurent le cadre de référence dans lequel nous vivons aujourd’hui ….et l’histoire de l’oppression des femmes se perpétue à des degrés divers selon les continents et les pays. Malgré des avancées indéniables, le poids de la domination masculine, les violences à l’encontre des femmes et le sexisme ordinaire nous interpellent encore fortement. Ce mouvement fut global, politique, culturel et sociétal et ne se réduisait pas aux seules luttes pour l’avortement et la contraception ou à la lutte contre les discriminations etc.

Par ailleurs, le fait que le rôle politique des mouvements féministes soit partout minimisé, et cela a été souligné à maintes reprises, contribue non seulement à donner une représentation géopolitique de la domination occidentale sur le monde, notamment par rapport aux droits des femmes, mais cela rend aussi inefficaces les affirmations sur l’universalité des droits. En France, dans cette société démocratique, le paradoxe est accablant ; alors que les droits des femmes ont incontestablement évolué favorablement en 40 ans, alors que plus généralement le niveau d’éducation, l’accès et la qualité des soins, la production et l’accès aux biens et services et la qualité de vie de nos co-citoyens se sont relativement améliorés, que l’informatique et ses dérivés ont révolutionné nos modes de communication et nos modes de vie dans ces dernières décennies, les combats portés par les féministes dans les années 1970 sont toujours d’actualité et demeurent une grande nécessité. Que l’on regarde les inégalités salariales, le plafond de verre, la double, voire triple journée assumée quasi exclusivement par les femmes…le diagnostic est sans appel.

Ce constat est évidemment exacerbé par un contexte politique régressif caractérisé par une idéologie rétrograde et restrictive des droits fondamentaux et cela sous prétexte de réformes novatrices. Celles-ci ne sont en réalité que des contres réformes néolibérales, dont la virulence est amplifiée par le contexte de crise économique dans lequel nous sommes aujourd’hui englués. L’exemple le plus récent et non des moindres est celui de la réforme des retraites ; bien qu’elle vienne renforcer les inégalités scandaleuses, cette question n’a été traitée qu’à la marge, tant sur la scène politique que médiatique. Sous le double prétexte que notre législation française intègre aujourd’hui le corpus des droits des femmes et qu’une crise est en cours, le politiquement correct voudrait nous imposer le diktat du « tout est réglé pour les femmes, n’en parlons plus ». Pire, le gouvernement actuel, tout en supprimant les instances et les moyens politiques et financiers des droits des femmes, les instrumentalise par des discours et une politique d’affichage et la manipulation est à son comble lorsque sont instrumentalisés nos droits constitutionnels, comme ce fut le cas dernièrement dans ce pseudo débat sur l’identité nationale

A contrario, silence radio sur des faits graves qui se produisent dans le sacro saint de la laïcité qu’est l’école avec la diffusion par un enseignant d’histoire d’un film anti-IVG encore plus gore que « Le cri silencieux » et qui porte atteinte fondamentalement au droit de disposer de son corps, aux principes de prévention et d’éducation. On peut imaginer l’impact psychologique désastreux auprès des jeunes élèves auxquels cet enseignant s’est adressé pendant plus de deux ans avant qu’il ne soit suspendu seulement pour 4 mois…. soit une quasi impunité alors que les droits des femmes et la laïcité sont gravement bafoués. Cette instrumentalisation de nos droits se retrouve amplifiée lorsqu’on regarde du côté des instances internationales. Le décalage entre l’affirmation d’objectifs généreux comme ceux du Millénaire portés par l’ONU et le cynisme qui se joue à pas feutrés notamment par l’élection de l’Iran à la commission de la condition de la femme aux Nations Unies en est un exemple patent.

Un autre exemple édifiant. Rappelons-nous l’émotion et les mobilisations internationales sur le sort des petites filles et des femmes afghanes qui avaient accompagné l’intervention d’octobre 2001 dans ce pays, et qui ont souvent été présentées comme une des justifications de cette intervention militaire. Aujourd’hui le deal et le message portés par le gouvernement afghan validés par les puissants de ce monde consistent à dire : « opprimez les femmes autant que vous voulez mais cessez de nous faire la guerre. » Cet odieux marchandage n’est évidemment pas nouveau mais il prend un sens particulier dans le contexte géopolitique actuel. Ici en France, régulièrement une ou deux fois par an, on assiste à des manifestations ou à la dénonciation, certes légitimes, du sort abject réservé à telle ou telle femme, symbole de notre bonne conscience collective. Pendant ce temps, le fémicide au Congo et dans d’autres contrées du monde se poursuit, une femme sur cinq est victime de viol ou de tentative de viol au cours de sa vie, les violences sexuelles et notamment les mutilations génitales touchent plus de 130 millions de femmes par an dans le monde. Et des millions de femmes survivent marquées à jamais par des séquelles des multiples violences, jeunes filles vitriolées, petites filles excisées, jeunes filles aux seins mutilés au Cameroun et j’en passe.

Alors, oui, il faut dénoncer et agir face à tous ces actes barbares et cela est une absolue nécessité certes, mais l’action, notre action est aussi frontalement confrontée à diverses questions : celle de l’assignation spécifique des femmes à la religion et à la culture, celle de l’idéologisation de la religion, celle du relativisme culturel, celle de l’essentialisme. Ces questions se posent aux féministes, elles les confrontent, les divisent. Alors il me semble que nous devons toutes affirmer, quel que soit notre positionnement, que le combat politique féministe aujourd’hui est une absolue nécessité pour réinvestir réellement le projet politique de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Permettez moi de conclure par une petite note d’espoir et de satisfaction en félicitant les jeunes générations, en leur disant bravo : bravo à toutes celles qui veulent le féminisme, à celles qui l’osent, à celles qui le revendiquent. Oui soyons toutes fières de nos combats d’hier, et de ceux à venir dans leur pluralité et leur diversité.

Martine Storti : « Pourquoi ce congrès »

Ce congrès se tient dans le cadre des « 40 ans du MLF », anniversaire célébré au long de cette année 2010. Il n’était pas écrit à l’avance que les 40 ans du MLF serait objet et sujet d’un anniversaire. A-t-on fêté les 10 ans, les 20 ans, les 30 ans ? Non, tandis qu’à chaque décennie revenait la célébration de mai 68. Il y a eu les « 40 ans du MLF » parce que quelques-unes l’ont décidé. C’est ainsi : les « 40 ans » furent avant tout le fruit d’une décision. Et parce que cette décision a été prise, d’autres, nombreuses, multiples ont suivi : décisions de faire des expositions de photos, de projeter des films et des vidéos, d’écrire des livres, de réaliser des documentaires, des émissions de radio et de télévision, d’organiser des débats, des journées d’études, des rencontres, de se rassembler dans les rues ou sur une esplanade, de créer un blog, de faire des fêtes ou, nous y sommes, de se réunir en congrès.

Nourris d’abord d’un désir et d’un devoir de transmission, les « 40 ans » ont été un regard sur le passé, faisant remonter des années 70 des visages, des noms, des rires et des larmes, des slogans, des événements, des textes, des analyses, des luttes. Ils n’ont cependant pas eu qu’un enjeu rétrospectif, d’abord parce que ce passé pouvait, par ses thèmes et ses combats, avoir une incidence sur le présent. Il y a en effet une sorte d’actualité du passé, j’ai envie d’ajouter hélas, par exemple en constatant qu’un manifeste a été lancé contre le viol en 2010 alors que nous avions, en 1976, c’est-à-dire il y a 34 ans, déjà rédigé un tel manifeste. Par ailleurs, cette célébration s’est ancrée dans le présent parce qu’elle a permis et favorisé l’établissement de contacts et de liens avec les générations suivantes. Placé en décembre, ce congrès ne clôt pas cette année fertile, car rien ne se termine jamais, et surtout pas ce mouvement des femmes qui vise une libération sans cesse inachevée ; il vient plutôt en scansion finale, car il nous a paru nécessaire de terminer l’année 2010 avec une initiative délibérément tournée vers le présent et l’avenir, de surcroît internationale puisque la libération des femmes ne peut se déployer dans un seul pays.

Autre précision à donner d’emblée, puisque la question est souvent posée : pourquoi ce mot de congrès plutôt que colloque ou rencontre ? Plusieurs raisons à ce choix. D’abord comme un clin d’œil aux congrès féministes internationaux qui se sont tenus dans de nombreux pays à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle et qui étaient un lieu et un temps de rencontres entre des intervenantes venues de différents pays. Celui-ci le sera aussi, puisqu’il s’étale sur trois jours et que vont y intervenir des femmes venues d’Afrique et d’Asie, d’Amérique et d’Europe, de l‘Ouest et de l’Est, du Nord et du Sud ; toutes se définissant comme féministes en occupant une position sociale différente : syndicalistes, universitaires, chercheuses, militantes d’association, responsables politiques, élues, journalistes, écrivaines… Des positionnements professionnels, sociaux, militants divers, à l’instar de ceux des personnes présentes dans la salles venues écouter mais aussi participer, prendre la parole. Ce mot de « congrès » renvoie aussi à cela : aux paroles de la tribune s’ajoutent les paroles des personnes présentes qui n’ont pas à se laisser intimider par un vocabulaire, un langage, je dirai presque une rhétorique, fut-ce celle de la recherche féministe, ou du militantisme du même nom !

Dans les congrès auxquels je viens de faire une brève allusion, les participantes n’étaient pas, loin s’en faut, toujours d’accord entre elles, et l’on peut deviner que tel sera aussi le cas ici. Je préciserai d’ailleurs d’emblée que les organisatrices de ce congrès n’ont pas été non plus d’accord sur tout. Parfois les débats entre nous ont été rudes et si chacune avait fait seule le « casting », sans doute aurait-il été différent. Mais c’est précisément parce qu’il n’est pas consensuel qu’il est intéressant et pertinent. Il y a donc eu des concessions réciproques, non pas pour aboutir à une position moyenne, pour le formuler plus familièrement mi figue-mi raisin, mais pour s’emparer, affronter des positions et analyses différentes. En effet on ne construit rien sur la peur d’affronter les désaccords, on ne construit rien sur le martèlement de la ligne juste.

Je n’évoquerai que brièvement, dans cette introduction, les problématiques et les enjeux qui seront analysés et débattus pendant ce congrès de trois jours.

40 ans après, le monde n’est plus celui dans lequel se sont déployés les mouvements féministes des années 70. Nous allons donc nous demander ce qu’il en est des femmes dans le monde tel qu’il est devenu, monde multipolaire, monde de pays émergents, monde de l’après soviétisme, monde de l’après 11 septembre… Quels sont les effets pour les femmes de ces changements géopolitiques ? Mais aussi quels effets pour elles de ce libéralisme qui marchandise tout et tout le monde, de cet étalage de richesse sans cesse croissante mêlée à une pauvreté extrême, de cette folie financière qui est en train de mettre à genoux nations et peuples ? Quels effets aussi de la sortie du communisme et de la manière dont cette sortie s’est effectuée ? Quels effets de ce qui est nommé « le retour du religieux », retour qui s’affirme là encore de façon sans cesse croissante sur la scène internationale, tandis que les affrontements ne se disent plus, à l’instar de celui de la seconde partie du vingtième siècle, en termes idéologico-politiques mais en termes religieux, culturels, de « choc des civilisations » ? Et comment ne pas remarquer que c’est principalement sur la place et le rôle des femmes que se joue le dit « conflit de civilisations » ?

Il convient en outre de s’interroger sur les effets pour les femmes des politiques de genre conduites par les organisations internationales puisque celles-ci s’exercent depuis 1975, année que l’ONU décréta « année internationale de la femme », au grand dam des féministes qui y voyaient une forme de récupération. On verra que les enjeux géopolitiques ne sont pas sans incidence sur ces politiques. Mais quels sont leurs objectifs ? Visent-elles à produire de l’égalité des sexes, ou seulement à adoucir la condition des femmes ? Sont-elles au service de finalités purement économiques ? La discrimination de sexe n’est-elle pas noyée dans la discrimination sociale et l’égalité des sexes dans la diversité ? D’autre part les femmes ne font-elles pas les frais de la reconnaissance des diversités culturelles ?

« Et, et » plutôt que « ou bien, ou bien »

Quand je pose ainsi la question « quels effets pour les femmes ? », je sais bien que je la formule mal. Les effets ne sont évidemment pas les mêmes pour toutes les femmes ; ils varient selon les pays, la situation économique, l’appartenance culturelle, religieuse. Ils ne sont pas identiques et pourtant, partout, par delà des modalités et des conséquences sur la vie quotidienne différentes, partout les femmes, ou plutôt des femmes, sont aux premières loges de la précarité, de l’exploitation, de l’enfermement dans des tâches liées au sexe, je consens à dire au genre… Mais partout aussi des femmes en premières lignes de luttes, d’innovations, d’inventions. Femmes victimes, oui, mais pas seulement, femmes actrices aussi. J’avance là ce que je considère comme un fil conducteur, non pas le « ou bien, ou bien » mais le « et, et ». Pas d’univocité en effet, plutôt des associations contradictoires : femmes victimes et actrices, sujets et objets, modalités d’oppression et d’émancipation combinées.

De ces effets, tous, à l’évidence, ne pourront être abordés. Nous avons retenu deux thèmes, deux enjeux : le travail, le corps. Pourquoi ? Ces deux enjeux ont été, sont des fondamentaux du féminisme parce qu’ils concernent toutes les femmes, parce qu’ils conjuguent tous deux égalité et liberté, parce qu’ils sont tous deux sont traversés par la problématique Nord/ Sud. Tous deux aussi sont ambivalents. Le travail comme condition de l’autonomie, de l’indépendance, comme possibilité d’épanouissement mais aussi comme lieu de l’exploitation, de l’aliénation, de la violence… Travail donc comme ce qui libère et ce qui opprime et qui sera ici regardé sous l’angle de sa division internationale, de la place qu’y occupent les femmes, la manière dont ce sont encore, toujours des femmes, mais sans doute pas les mêmes, qui sont assignées au travail du soin, aujourd’hui dit du care, soin domestique, soin aux personnes, enfants, malades, vieillards…

Un autre des fondamentaux du féminisme, la maîtrise et la libre disposition pour les femmes de leurs corps. Maîtrise de la fécondité comme condition de la liberté, c’est le « notre corps nous-mêmes » des Américaines des années 70, le « notre corps nous appartient » du MLF que nous avons repris comme titre de l’une des séquences. Cet enjeu allait évidemment au delà de la fécondité, et donc de la contraception et de l’avortement, il était, il est le droit à disposer librement de son corps, l’affirmation que cette libre disposition est au fondement de la liberté des femmes. Une libre disposition à laquelle les trois grandes religions monothéistes sont opposées. Il a fallu un long combat pour mettre au pas le christianisme, combat sans cesse à reprendre, comme le montre la récente campagne présidentielle au Brésil où la candidate Dilma Rousseff, aujourd’hui élue, a dû donner des gages, affirmer notamment son hostilité à la légalisation de l’avortement. Un exemple parmi d’autres.

Quelle est la traduction, dans un monde inégal, de nos anciens mots d’ordre ? A la marchandisation ancestrale, celle de la prostitution, s’ajoutent d’autres commerces du corps des femmes, notamment celui, transnational, de la maternité de substitution, tandis que dans certains pays, tel l’Inde, le développement économique, qui peut profiter aussi aux femmes, s’accompagne de l’élimination des petites filles. Mais en parlant du care ou de la maternité de substitution, on ne peut pas faire l’économie de quelques questions : comment fait-on pour que l’émancipation des unes ne se fasse pas sur le dos des autres, même si à l’évidence ce n’est pas l’émancipation des femmes ou de certaines d’entre elles qui est responsable de l’état du monde ? Autre interrogation : les « vraies » femmes, j’entends sous ce qualificatif le féminin au sens traditionnel, seraient-elles au Sud ?

Brouillard et brouillages

Le titre de ce congrès n’est cependant pas « les femmes à l’épreuve des mutations géopolitiques » mais « le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques ». Pourquoi ? Parce que si le monde a changé, le féminisme aussi : des thématiques, des objectifs, des enjeux nouveaux sont apparus tandis que des divergences au sein des mouvements féministes se faisaient jour. Comment un mouvement mondial qui vise l’égalité des sexes et la liberté des femmes ne serait-il pas interpellé par les changements du monde ? Mais aussi par les conséquences de ce qu’il dit et ce qu’il fait ? Il y un fonctionnement dans les deux sens : le féminisme provoque des changements et des changements questionnent le féminisme. Si les femmes ont toujours été prises dans des enjeux sociaux, politiques, économiques, sociétaux, culturels, religieux divers et complexes, si elles ont toujours été une monnaie d’échange entre des hommes, des partis, des factions, des Etats, il convient de regarder et d’analyser les modalités actuelles de ce jeu dans un cadre mondial.

Pour rester un très court moment sur la scène française, nous avons pu observer comment les femmes et le féminisme ont été embarqués – faut-il dire pris en otage ? – dans le calamiteux débat lancé en 2009 par le président de la République et le gouvernement français sur l’identité nationale. N’est-ce pas au nom de l’égalité hommes-femmes qu’Eric Besson, alors ministre de l’immigration, a prétendu porter ce débat, au cours duquel, merci de la bonne nouvelle, nous avons appris que la dite égalité était constitutive de l’identité française ? Nous avons ainsi constaté que ce gouvernement s’adossait au féminisme – même s’il ne prononçait pas le mot – pour masquer – devrais-je dire voiler ! – les motifs de cette affirmation identitaire : reprendre des thèmes remis sur la place publique depuis maintenant un quart de siècle par le Front national, tenter de tirer de cette reprise des bénéfices électoraux, avoir de la dite identité française une conception étroite, exclusive, nationaliste.

Si je récuse cette instrumentalisation du féminisme – ou d’une certaine représentation de celui-ci – par le gouvernement français, je récuse aussi la façon dont d’autres, ceux que ce funeste débat cherche à stigmatiser, instrumentalisent eux aussi les femmes, au nom, disent-ils de la religion musulmane, du moins de la conception qu’ils en ont, en leur donnant une fonction de marquage identitaire, à travers leur visage, leurs cheveux, leur corps, le contrôle de leur conduite, de leur sexualité, Mais peut-être la religion n’est-elle que le prétexte, l’habillage, l’un des visages et des outils de la domination masculine. Double instrumentalisation, à refuser toutes les deux. Sont-elles équivalentes ? Peut-on mettre entre elles un signe égal ? Pour ma part, je m’y refuse. Car les conséquences de l’une sont aujourd’hui moins graves pour les femmes que celles de l’autre, point qui sera aussi traité lors de ce congrès.

Une remarque toutefois : n’est-ce pas cette façon de mettre un signe égal entre des idées ou des comportements ou des interdits ou des obligations ou des politiques qui ne le sont pas qui provoque brouillard, brouillage et confusion ? Ce fonctionnement idéologico-politique n’est pas nouveau. Qui ne se souvient du parti communiste allemand mettant sur le même plan, dans les années 30, socialistes et nazis au motif que ni l’un ni l’autre ne combattait le capitalisme ? Plus près de nous, cette fois dans la comédie pour ne pas dire la farce, certains mouvements gauchistes, plus précisément maoïste, ne nous expliquaient-ils pas qu’entre le régime pompidolien et le fascisme, la différence n’était pas plus épaisse qu’une feuille de papier à cigarette ! Et encore plus récemment, certains n’affirment-ils pas qu’entre les discriminations subies par les unes et celles subies par d‘autres, la différence est infime. N’est-ce pas ce qui se passe lorsqu’un signe égal est mis entre le string et le voile, lorsqu’il est soutenu qu’entre le voilement du corps des unes et le dévoilement du corps des autres, il n’y a pas grande différence, puisque, dans les deux cas, se joue une manipulation, une instrumentalisation du corps des femmes ? Peut-être. Mais ce qui est vrai aussi et encore plus décisif, c’est que le string n’est nulle part obligatoire et que si personne ne meurt de ne pas le porter, certaines femmes meurent de ne pas porter le voile ou la burka. Certes des femmes meurent en France sous les coups de leurs maris et les violences à l’égard des femmes ne sont l’apanage d’aucun milieu social ou culturel. Cependant est-il possible de mettre un signe égal entre toutes les violences ? Entre celles qui relèvent d’un individu et celles qui relèvent d’une politique qui les encourage et les légitime ?

Il faut questionner, analyser, dépasser les instrumentalisations diverses. Mais aussi réfuter les confusions diverses, celles qui par exemple confondent émigration et délinquance, cités et machisme, islam et terrorisme. Aussi celles qui confondent laïcité et racisme, laïcité et islamophobie. Le brouillage est encore du côté de celles et ceux qui voudraient nous faire croire que les luttes contre les multiples visages de la domination masculine se font dans l’oubli des autres formes d’oppression, de race ou de classe. Les féministes n’ont-elles pas, depuis longtemps, renversé le propos ? A la place de : pas d’émancipation des femmes sans émancipation économique, politique, nous avons dit : pas d’émancipation économique, politique, sociale etc. sans émancipation des femmes.

Ne convient-il pas enfin de détricoter toutes les accusations posées à l’encontre du féminisme ? Dans les années 70, les féministes étaient ridiculisées, qualifiées d’ « hystériques », « mal baisées », « gouines », « ennemis du désir et de l’amour »… Ensuite le féminisme devint ringard, une vieillerie dépassée. Depuis quelques années, d’autres accusations sont portées : le féminisme serait occidental, néocolonial, raciste, complice de l’impérialisme. C’est le féminisme qui bombarde l’Irak et l’Afghanistan, le féminisme qui est responsable de la pauvreté des femmes du Sud, le féminisme qui stigmatise les populations ! Ainsi le féminisme n’est plus seulement « bourgeois », vieille antienne contre les suffragettes du 19ème siècle, ou contre celles qui refusaient d’attendre les lendemains qui chantent.

Faut-il prendre au sérieux ces accusations ? En rangeant le féminisme dans le camp des oppresseurs, en l’arrimant à l’Occident, donc en lui refusant un caractère d’universalité, ne cherche-on pas à affaiblir les femmes qui, partout, et parfois en prenant de grands risques, luttent contre les discriminations et pour leur liberté de femmes ? Ne faut-il pas voir aussi dans ces accusations une manière de faire passer les femmes et leurs luttes au rang de front secondaire ? Ou encore d’occulter qu’entre le public et le privé, les différences ne sont pas si grandes, raison pour laquelle nous avons mis en exergue de ce congrès une citation de Virginia Woolf, extraite de ce magnifique texte Trois guinées écrit en 1938 : « L’univers de la vie privée et celui de la vie publique sont inséparablement liés. Les tyrannies et les servilités de l’un sont aussi les tyrannies et les servilités de l’autre . » Ou encore de taire la valeur universaliste de l’égalité et de la liberté. Et qu’on ne donne pas aux féministes des leçons de critique de l’universalisme. Nous savons bien en effet que ce mot peut être mensonger, que peut être nommé « universel » ce qui n’est que particulier ou partiel, ainsi du suffrage qualifié d’universel alors que les femmes en étaient exclues ! L’universel abstrait, les femmes dans leurs luttes ont su le démasquer.

Pour autant faut-il abandonner cet enjeu de l’universalité ? Sûrement pas. Je persiste à affirmer que l’égalité et la liberté valent pour toutes (et tous) même si les chemins pour y parvenir sont à l’évidence différents. On nous rebat les oreilles des différences de cultures. Bien sûr il y a des cultures. Bien sûr des différences existent. Mais doivent-elles servir d’alibis aux discriminations à l’égard des femmes ? Aux injustices qui pèsent sur elles ? A leur oppression ? Faut-il transformer ces différences en assignations identitaires ? Et au delà de ces différences, ne faut-il pas mettre l’accent sur ce qui rapproche, et même ce qui unit ? Pour prendre un exemple personnel : je suis allée à plusieurs reprises en Afghanistan. J’y ai rencontré des femmes appartenant en effet à une culture différente. Mais ces différences étaient moins fortes que ce qui m’unissait à ces femmes qui, sous les Talibans, au risque de leur vie et de leur liberté, avaient maintenu dans la clandestinité l’éducation des filles. J’ajoute – et ce n’est pas subsidiaire – que je suis lasse, quant à moi, de l’enfermement des êtres dans des cultures ou des ensembles prétendument homogènes qui fait disparaître les individualités.

Une politique féministe

J’ai le sentiment d’énoncer des évidences. En effet, ce sont des évidences. Pourtant tout indique qu’elles ne le sont pas pour certain(e)s, y compris au sein des mouvements de femmes, y compris du côté de celles qui reprennent à leur compte le mot « féminisme ». Arrivée à ce point de mon propos, je ne peux pas ne pas poser une autre question qui part de la scène française mais qui la dépasse.

Qu’est-il arrivé au mouvement féministe français pour que deux de ses initiatrices (je ne parle pas de fondatrices car un mouvement comme le MLF ne fonde pas) se retrouvent aujourd’hui en opposition totale sur toutes les questions liées au voile, à la religion, aux alliances politiques, aux enjeux géopolitiques ? Pour l’une , la lutte contre le voile n’est que le masque, l’alibi de l’impérialisme, du néocolonialisme, et pour faire court de l’Occident ; pour l’autre le voile, signe manifeste de l’oppression des femmes et de l’emprise de l’islamisme, justifie toutes les alliances politiques, y compris avec des gens opposés depuis toujours au féminisme et à la liberté des femmes, y compris avec l’extrême droite. Toutes deux s’affirment féministes. A l’une et à l’autre n’est-il pas légitime de demander si au fond, les femmes ne sont pas devenues pour elles un prétexte, pour énoncer d’autres enjeux, pour régler d’autres comptes, et emprunter du même coup, chacune à sa manière, de dangereux chemins avec de dangereux alliés ?

Je viens d’emprunter un exemple à la scène française mais nous le constatons depuis plusieurs années maintenant, c’est le mouvement féministe dans son ensemble qui est divisé.

Est-il possible de débrouiller les confusions, les amalgames ? De sortir des accusations et intimidations réciproques ? De tenter d’y voir un peu plus clair, ce qui ne signifie pas éliminer les désaccords. Je l’ai dit d’emblée : les désaccords et leur confrontation peuvent être fructueux. Et je ne vois pas pourquoi il ne devrait pas y avoir des désaccords et des divergences entre féministes. Ce que je mets en question, c’est le goût des positions simples, des analyses trop simplistes. Que la conscience de la complexité empêche l’action, je ne le crois pas. C’est la simplicité qui empêche l’action, ou plutôt commande des actions mauvaises, inadaptées, non efficaces. La simplicité mène à l’agitation et on le voit bien en France où un président de la République s’agite beaucoup mais agit peu.

Or la réponse à l’une des questions qui sous-tend ce congrès – Qu’est-ce qu’une politique féministe aujourd’hui ?- ne peut pas être simple. Il faut en effet cerner les différentes oppressions et les différents chemins pour les battre en brèche, comprendre ce qui toujours résiste, toujours fait obstacle, donnant ainsi parfois le sentiment d’une répétition, presque d’un rabâchage des mêmes dénonciations et des mêmes revendications, sortir d’une vision binaire de la réalité, tenir plusieurs bouts en même temps, pour dire ce que signifie dans le monde d’aujourd’hui égalité des sexes et liberté des femmes, de toutes les femmes.

Un mot encore pour conclure cette ouverture : c’est après avoir assisté à un congrès féministe international que Marguerite Durand fonda le quotidien La fronde. De ce congrès dont la tenue est en soi un petit événement, j’ignore ce qui sortira. Un quotidien ? C’est peu probable. Mais un site internet, un réseau, un think tank, pour une stratégie féministe, une politique féministe, pourquoi pas ?

Françoise Picq

« Le féminisme : quarante ans de changements »

En ce temps là la vie était plus belle, et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui !

Paroles: Jacques Prévert, musique: Joseph Kosma

Quarante ans c’est bien l’âge des bilans. Et puisque nous avons décidé de célébrer les quarante ans du MLF, l’occasion de revenir sur ce qu’a été le mouvement des femmes ; de le regarder avec le recul, comme phénomène historique international, avec ses particularités nationales. De rappeler les espoirs qu’il a portés, les changements qu’il a impulsés dans la vie des femmes, dans les rapports entre les femmes et les hommes. De voir comment il a changé les représentations, les modèles sociaux… Et de l’autre côté, de souligner les obstacles qu’il a rencontrés, les écueils dans lesquels il est tombé.

Tout au long de cette année 2010, de nombreux colloques ont fait revivre cette histoire : Il y a eu le Colloque international d’ « Archives du féminisme » du 20 au 23 mai à Angers : « les féministes de la 2° vague, actrices du changement social[1]. » Il y a eu le 5 juin celui de l’Institut Emilie du Châtelet : « Quarante ans de pratiques féministes en Ile de France » ; le 25 septembre celui du Collectif national pour les Droits des femmes (CNDF) : « Faire et écrire l’histoire : féminisme et lutte de classes de 1970 à nos jours » ; les 23 et 24 octobre le colloque de la Coordination lesbienne de France (CLF) : « Mouvement des lesbiennes, lesbiennes en mouvement ». Chacun d’entre eux a remémoré l’histoire et les problématiques des différents courants d’un mouvement des femmes qui était divers et contradictoire. Il y a eu le 18 novembre la réunion, à l’initiative du réseau féministe Ruptures : « Les engagements féministes face aux intégrismes et aux pouvoirs politico-religieux : solidarités, acquis et limites. » Et je n’oublie pas les rencontres et débats autour du cinéma et de la vidéo (« Quand les femmes s’emparent de la caméra » au Forum des images du 11 au 14 mars), ni les expositions, projections et débats au FIAP Jean Monnet de septembre à novembre[2].

L’objectif du congrès féministe international : « Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques » est de prendre en compte les grands changements du monde depuis la belle époque du MLF et d’y confronter la pensée féministe. Pour avancer dans la reconstruction d’enjeux féministes par rapport au monde tel qu’il est devenu. Pour redéfinir les bases politiques du féminisme aujourd’hui.

En ce temps là la vie était plus belle, et les choses étaient plus claires. Le féminisme nous fournissait une grille de lecture du monde où nous vivions. Mais ce qui paraissait évident aux féministes des années soixante-dix les amène aujourd’hui à des positions radicalement opposées, au nom du même féminisme. Les ruptures que nous avons effectuées ont connu des prolongements beaucoup plus problématiques. Dans un contexte de libéralisme et de marchandisation à outrance, l’affirmation de la liberté peut déboucher sur des choix qui sont en contradiction avec le projet d’émancipation de l’individu. Quant à la revendication de l’égalité, on verra qu’elle n’est pas sans risque pour les acquis de nos luttes. On peut aussi se demander si le radicalisme que nous affichions fièrement, n’a pas conduit à une fuite en avant et à des dérives sectaires.

« Le monde change ! Pourquoi pas nous ? »

Le MLF était l’enfant de Simone de Beauvoir et de Mai 68. Notre génération politique a été formée dans la lutte contre la guerre d’Algérie, puis contre la guerre du Viêt-Nam, avec aussi en toile de fond la lutte des Noirs américains qui nous a légué le modèle de la non-mixité. En héritier rebelle du mouvement de 68, il a prolongé les conceptions politiques et les aspirations libertaires de celui-ci. Notamment en politisant les questions de la vie personnelle. « Tout est politique ! » est devenu « Le personnel est aussi politique ». Et c’est en faisant sécession par rapport aux groupes militants dont il était issu que le mouvement des femmes a pu exister. Le MLF faisait une critique féministe du gauchisme (qui dédaignait les problèmes des femmes et reproduisait en son sein ce qu’il dénonçait par ailleurs : la hiérarchie, la division sexuelle du travail militant (les hommes au micro, les femmes à la ronéo), la supériorité des spécialistes/ théoriciens (sur ceux/celles qui connaissent l’oppression parce qu’ils/elles la vivent).

Le MLF a posé la nécessité d’être soi-même l’objet de sa propre lutte et affirmé qu’il n’y a pas d’autre savoir sur l’oppression que celui de son propre vécu. La lutte de chacune pour sa propre libération coïncidait avec la lutte commune pour la libération de toutes. Nous avons inventé une nouvelle façon de militer, en articulant l’individuel et le collectif, où le projet révolutionnaire n’était plus un objectif, mais un processus en œuvre. Et ce n’était pas un projet catégoriel, puisque, nous le proclamions : « En se libérant les femmes libéreront l’humanité toute entière ». Le MLF a porté le flambeau de 68 et des valeurs collectives longtemps après que le mouvement social dont elles venaient ait pratiquement disparu.

En ce temps là, le marxisme était le moyen d’analyser la société, bourgeoise et patriarcale, et de mettre au jour l’envers du libéralisme. C’était aussi le moyen de comprendre la situation des femmes en termes sociologiques, donc de rompre avec l’idéologie naturaliste, comme d’ailleurs l’avait fait Simone de Beauvoir. Pour autant nous refusions que la question des femmes soit considérée comme secondaire et renvoyée aux lendemains qui chanteraient. Il ne s’agissait pas de substituer la lutte des femmes à la lutte des classes, mais de ne pas subordonner l’une à l’autre.

En ce temps là, être féministe c’était affirmer qu’il y a une solidarité entre les femmes, par-dessus les différences de classe et que les rapports entre les hommes et les femmes sont aussi des rapports sociaux. Qu’il n’y a pas un groupe social qui soit à lui seul porteur de la révolution, mais que chaque groupe social doit choisir ses enjeux et ses moyens de lutte. C’est ainsi que le féminisme a imposé une vision plus complexe de la société et de ses diverses contradictions. Il refusait que les femmes fassent les frais des autres contradictions. Par exemple qu’elles aient à supporter le viol, au prétexte de la misère sexuelle des jeunes hommes (notamment immigrés) ou parce qu’il ne fallait pas en appeler à la justice bourgeoise. Ou encore qu’il soit interdit de dénoncer des oppressions spécifiques, au nom du respect des « différences culturelles », (cela a été le cas pour l’excision ou encore pour le soutien aux féministes iraniennes qui refusaient le voile en 1979).

En ce temps là, nous n’acceptions pas que les femmes soient accusées de diviser le prolétariat, ou de faire le jeu des racistes, comme si on ne pouvait dénoncer qu’une oppression à la fois.

En ce temps là, les divisions du monde étaient relativement claires. Il y avait deux blocs en compétition, qui maintenaient un certain équilibre de la terreur, et puis le Tiers Monde qui cherchait à s’émanciper. Le féminisme était évidemment du côté de la contestation, des révoltes, des luttes de libération nationales : anticapitaliste, anticolonialiste, anti-impérialiste, mais pas pour autant rallié au bloc de l’Est.

Les choses ont commencé à changer à la fin des années 1970. C’était le temps des grandes victoires (le vote de la loi Veil en 1975, la victoire idéologique : les thèmes, les mots d’ordre, les analyses féministes repris dans médias, récupérés par institutions nationales et internationales, pris en compte par les politiques, les partis, les syndicats) ; mais c’était aussi le début de la crise. Crise économique, crise des valeurs, crise des idéologies ; c’était le temps du désenchantement révolutionnaire.

Le mouvement des femmes a connu un reflux dans tous les pays ; plus ou moins violent ou sournois selon les cas. Aux Etats-Unis, la nouvelle droite sous l’ère Reagan remettait en cause les acquis. Ailleurs comme en France ceux-ci étaient moins menacés. Mais les féministes étaient dénigrées, ringardisées, tandis que la société « patriarcale » digérait le féminisme et s’adaptait. Diffusion et Récupération ; institutionnalisation du féminisme ; grignotage et délégitimation. Les années 1980 furent celles de la défense des acquis et des mobilisations contre le racisme et l’extrême droite (collectif féministe contre le racisme, comité homosexuel et lesbien antifasciste, CADAC – Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception-, collectif féministe contre le viol…[3]). Le mouvement féministe a peu pensé le choc des mutations géopolitiques des années 80 et 90. Quand l’impérialisme américain a été vaincu au Viêt-Nam, le socialisme réel n’a plus montré que son visage inhumain, du goulag à Phnom Penh et à Ho Chi Minh-ville. Alors le rejet du totalitarisme a entraîné la victoire idéologique du libéralisme.

Le premier choc politique a été la révolution khomeyniste en Iran, qui bouleversait nos schémas. C’était un mouvement populaire, anti-impérialiste qui renversait le shah, mais qui le faisait au nom de la religion et qui renvoyait les femmes à la tradition. Ensuite il y a eu 1989 et la chute du mur de Berlin. Les féministes, comme l’extrême gauche, avaient dénoncé la perversion de l’idéal socialiste et soutenu les dissidents (et les dissidentes). Mais ce qui a triomphé c’est le libéralisme et le marché, auxquels les peuples d’Europe de l’Est se sont ralliés dans l’enthousiasme, en dédaignant les critiques de gauche qui avaient lancé la révolte populaire. Nous n’avons pas assez mesuré à quel point la disparition de l’ennemi allait faire perdre toute retenue au capitalisme triomphant (dérégulations, retrait de l’Etat, abandon des services publics, domination du capitalisme financier, néo-libéralisme : tout devient marchandise. On est revenu à l’époque de la « grande transformation » de Karl Polanyi[4].

Dans les analyses politiques qui sont faites de ces bouleversements, jamais la dimension du féminisme et la question des femmes ne sont envisagées. Il y a pourtant là un éclairage indispensable. Mais c’est bien à nous de le proposer.

Le coup de tonnerre du 11 septembre 2001 a mis en lumière une nouvelle division du monde, dont les lignes de fractures ne sont plus celles de la guerre froide. L’islamisme s’est substitué au communisme comme antithèse au monde « libre ». La religion est revenue sur le devant de la scène politique, comme explication d’un conflit mondial. Et les femmes sont devenues un enjeu dans la lutte entre modernité occidentale et tradition obscurantiste. L’occident libéral est à nouveau violemment rejeté : dans sa dimension impérialiste, de domination de l’argent ; mais aussi par refus de la modernité, en particulier de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la liberté individuelle. Cela pose un défi au féminisme qui est d’abord une aspiration à l’émancipation des individu-e-s. Le contexte géopolitique actuel nous oblige à reconsidérer, avec un point de vue féministe, les grandes questions politiques, les grands principes démocratiques. A repenser la question de la modernité dans ses différentes composantes : la laïcité, le libéralisme, la tension entre liberté et égalité. Et aussi celle de l’universalisme et de la différence des sexes.

Sur la modernité :

Le communisme prétendait dépasser l’Occident en modernité et réaliser l’idéal d’émancipation. Il ne reniait ni le matérialisme, ni la sécularisation du politique. La religion était « l’opium du peuple », et le communisme voulait substituer à l’espérance de salut éternel un projet de « salut terrestre ». En ce qui concerne les femmes, il prétendait à une libération véritable. L’islamisme au contraire voit la modernité comme un blasphème et veut remettre les femmes à leur place traditionnelle, au nom d’une loi supérieure à celles des humains.

Cela nous incite à regarder autrement le post-modernisme, qui a été à la mode dans une tendance avancée du féminisme (plus d’ailleurs dans les pays anglo-saxons qu’en France, bien qu’on appelle cela « French theory »). Le post-modernisme se voulait subversif en contestant le progrès, l’universalisme, en proclamant la mort du sujet et des identités collectives. Il marquait une rupture avec le féminisme existentialiste de Simone de Beauvoir, dont l’objectif était la réalisation de soi comme sujet. Et tout autant une rupture avec le projet collectif du féminisme des années soixante-dix.

Sur la laïcité :

Le retour du religieux n’a pas attendu le 11 septembre 2001. L’offensive est venue d’abord du Vatican et clairement contre la liberté des femmes de disposer de leur corps. La Conférence mondiale sur la famille en 1984 a marqué un tournant, orchestré par le pape Jean-Paul II, qui a aussi joué un rôle important dans la chute du communisme. Le féminisme, en France, a toujours eu partie liée avec le combat laïc et républicain, même s’il a dû se battre pour y avoir une place. Et l’émancipation des femmes est intimement liée aux conquêtes laïques : par l’école publique, gratuite, laïque et obligatoire ; par le divorce (Loi Naquet, 1884), le mariage n’est plus un sacrement, indissoluble, mais un contrat entre deux individus.

Dans les années 1970 le féminisme n’a pas toujours été perçu comme un combat laïc, tellement la laïcité allait de soi, entre le consensus républicain et la domination idéologique du marxisme. Mais le droit à l’avortement et à la contraception, a bien été une conquête laïque contre les morales et pouvoirs religieux[5]. Les camps qui se sont dessinés pour ou contre le droit à l’avortement étaient clairement structurés autour de la religion catholique. Nous avons trouvé des alliés parce que notre lutte s’inscrivait dans les conflits traditionnels entre les « deux France » ; défense de la laïcité et de la liberté individuelle contre l’emprise de la religion et l’ordre moral. Avec la « croisade » anti-avortement du Vatican, les choses sont devenues claires. Aujourd’hui, l’avortement (avec le préservatif et l’homosexualité) est le marqueur de l’opposition entre catholicité et laïcité. En Europe où l’Irlande, la Pologne, Malte interdisent toujours l’avortement. Mais aussi en Amérique latine où même la gauche, de gré ou de force, a dû souscrire à la « défense de la vie ».

La question de la laïcité se pose aujourd’hui de façon nouvelle avec la question du voile islamique, qui est le signe ostensible du refus du modèle de l’intégration et de la liberté individuelle de la femme. S’interroger sur l’actualité de la laïcité et de sa définition du pacte social, c’est nécessairement voir la question des femmes au cœur de l’organisation de la vie sociale. Parce qu’elle interroge la distinction du privé et du public, et la confrontation entre normes religieuses et laïques dans des sociétés multiculturelles. Le féminisme se divise à ce sujet, à cause de l’entrecroisement avec l’antiracisme. Une ligne de fracture divise les féministes, comme d’ailleurs elle divise d’autres courants politiques (à l’extrême gauche, chez les écologistes ou les altermondialistes..). D’un côté il y a celles (et ceux) pour qui la priorité reste la lutte contre l’impérialisme, qui peuvent tolérer des pratiques sexistes au nom du « relativisme culturel », et des alliances douteuses au nom de l’antiracisme. De l’autre côté il y a celles (et ceux) pour qui le danger principal est le totalitarisme. Ceux/celles là (dont je suis) peuvent critiquer le modèle occidental ; mais ne peuvent pas rejeter en bloc le libéralisme.

Libéralisme, question complexe

En France le libéralisme a mauvaise presse. On le rejette en bloc. N’y voyant que le désengagement de l’Etat, la soumission à la loi des marchés. C’est pourquoi le non l’a emporté au référendum européen. Nombreuses sont les féministes qui ont voté non, malgré la démarche communautaire de construction de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est vrai que dans le monde hyper-libéral d’aujourd’hui les inégalités sociales explosent, entre les classes sociales, mais encore plus à l’échelle mondiale.

Que signifie la liberté quand tout est devenu marchandise, négociable, soumis à la loi de l’offre et de la demande ? Ou encore quand c’est la liberté de se soumettre qui est revendiquée, au nom d’une norme supérieure à celle du libre-arbitre ? Que ce soit à propos du voile islamique, de la prostitution, des mères porteuses…, c’est toujours la liberté qui est mise en avant. De la même façon qu’à la Libération l’idéologie du « libre choix » avait permis la mise à l’écart des femmes du marché du travail. La liberté de disposer de son corps aujourd’hui deviendrait celle de le vendre ! La liberté n’est pas une valeur absolue, comme l’histoire l’a bien souvent montré..

N’empêche que le libéralisme comporte plusieurs dimensions, qui sont à la fois liées et contradictoires. Il me semble important, d’un point de vue féministe, de les décomposer, car toutes ne doivent pas être traitées de la même façon. La dimension économique du libéralisme est aujourd’hui la plus visible. C’est le triomphe du capitalisme, la dérégulation de l’économie, la remise en question de l’Etat-providence et des solidarités sociales. Il faut bien sûr le combattre. Mais avec quel objectif ? Le projet de lui substituer un autre mode de production et d’échange est bien enterré. Reste la nécessité impérieuse de résister, d’opposer aux lois du marché d’autres règles. De les contrecarrer au nom d’autres principes supérieurs. De remettre l’économie à sa place.

Dans sa dimension politique, le libéralisme est le système qui fonde les démocraties occidentales : l’Etat de droit, la séparation des pouvoirs, la démocratie représentative, avec ses limites, ses règles d’équilibre, ses contre-pouvoirs. C’est la République, qui distingue entre ce qui est public : Res publica, et ce qui échappe à la règle collective : le privé. Insatisfaisant certainement, le libéralisme politique est une garantie contre le totalitarisme. On peut le critiquer, le mettre en question ; mais certainement pas y renoncer. Le MLF n’avait pas craint de mettre en cause la distinction du privé et du public, avec un succès certain, mais aussi bien des dérives[6]. Nous étions assez optimistes en ce temps-là pour prendre de tels risques.

Il y a aussi la dimension culturelle du libéralisme, si importante en ce temps-là et si oubliée aujourd’hui[7]. C’est pourtant elle qui a fait la richesse des années 1968. L’affirmation de la liberté et de l’épanouissement de l’individu contre la morale du devoir et le respect inconditionnel de la tradition et de l’autorité. C’est dans ces aspirations-là que le féminisme a pris sa source et défini ses exigences : le droit des femmes à disposer de leur corps, le choix de sa sexualité, la primauté de la liberté individuelle sur l’ordre moral. Concevoir le féminisme sans cette dimension du libéralisme culturel relève certainement du paradoxe[8] . Il me semble donc que le libéralisme est une notion trop complexe pour qu’on puisse le revendiquer ou le récuser en bloc.

Universalisme et différence des sexes

En ce temps là, la complexité se disait en peu de mots. Le choix de l’universalisme contre le particularisme n’obligeait pas à occulter toute spécificité. Il suffisait de souligner qu’ « Un homme sur deux est une femme » pour tenir par les deux bouts l’universel et le particulier : l’appartenance au genre humain et l’identité de genre.

Avec Simone de Beauvoir, le MLF considérait la féminité comme « une construction culturelle et non une donnée naturelle ». Cela ne l’empêchait pas de se mobiliser pour des droits spécifiques. La « libre disposition de son corps » était l’exigence première pour construire son autonomie ; l’Habeas corpus des femmes, comme dit Geneviève Fraisse. Avec le temps, avec les conflits et la rupture du MLF, les positions se sont figées en oppositions. Certaines ont privilégié la spécificité, célébrant « Ce qui fait la force, la jouissance des femmes : produire de la vie ! ». D’autres n’ont plus voulu voir dans la différence des sexes que le résultat de l’oppression et des rapports sociaux, puisque « Le genre précède le sexe ». Par phobie du modèle hétérosexuel et de la complémentarité, le féminisme radical a dès lors fait l’impasse sur la question de la maternité, oubliant qu’elle est un enjeu primordial du patriarcat. Il a préféré mettre l’accent sur la subversion des identités sexuelles, le brouillage des catégories de sexe et des identifications masculines et féminines. Cette démarche de déconstruction / reconstruction, que le féminisme avait impulsée, a été prolongée par les mouvements gays et lesbiens, et par la théorie queer. On déconstruit le sujet « les femmes » ; on nie sa pertinence du fait de son entrecroisement avec les autres rapports de domination. Ce qui aboutit là encore à un paradoxe : quel peut être le projet féministe sans les catégories d’homme et de femme[9]?

Le soutien, aussi nécessaire que légitime, aux revendications des homosexuels utilise parfois une argumentation dangereuse pour les droits des femmes. Au nom de l’égalité entre les sexes et entre les sexualités, certain-e-s contestent la « différence des sexes » jusque dans l’ordre de la parentalité et de la filiation. Ils/elles dénoncent le pouvoir abusif des mères, non seulement concernant les enfants du divorce ; mais aussi par rapport au droit à l’interruption de grossesse[10]. On peut certainement participer à la lutte contre les discriminations à l’égard des homosexuel-le-s, notamment en ce qui concerne la garde des enfants du divorce ou l’adoption, soutenir les revendications des couples homosexuels à se marier s’ils le souhaitent[11], et à former une famille, sans pour autant remettre en question la prééminence des femmes concernant leur propre grossesse. Le droit des femmes à disposer de leur corps est un acquis fragile du féminisme.

D’un côté l’identité de genre est niée, d’un autre c’est l’universalisme qui est contesté. Celui-ci, et le féminisme qui lui est lié, ne seraient que le masque de la domination occidentale. Le Black feminism [12] dénonce le racisme inconscient des féministes blanches. Les féministes « postcoloniales » accusent les occidentales d’imposer leur vision du féminisme, leurs concepts et leur projet politique comme universels[13], alors qu’ils sont ancrés dans la modernité occidentale. Certaines soulignent que le droit à l’avortement, la libération sexuelle, ne sont pas l’objectif principal pour toutes les féministes du monde. Le ressentiment des femmes noires et du tiers monde s’exprime dans les Conférences mondiales. Lui fait écho celui de femmes de l’Europe postcommuniste. A l’universalisme, on oppose alors la diversité des féminismes.

C’est une parole qu’il faut entendre, certes. Mais sans oublier les risques d’un abandon de l’universalisme au profit d’une vision relativiste des cultures et d’une politique de l’identité. Le respect des cultures dans leur diversité ne signifie pas qu’il faille les considérer comme équivalentes. Comme le disaient déjà Fourier et Marx, le degré de civilisation des sociétés se mesure à la place qu’elles accordent aux femmes. Il faut aussi se méfier du relativisme qui enferme les femmes dans leur culture d’origine, leur interdisant toute dissidence ; alors qu’il y a toujours parmi les femmes concernées des points de vue radicalement opposés. On a vu des femmes africaines défendre l’excision comme une partie de leur culture ; mais bien d’autres combattre cette pratique patriarcale dangereuse et mutilante. Certaines jeunes filles musulmanes considèrent sans doute la loi française interdisant les signes religieux ostensibles à l’école comme une atteinte à leur liberté religieuse ; mais beaucoup d’autres la voient comme une protection. C’est celles-ci, surtout, que les féministes universalistes doivent soutenir.

La contestation de l’universalisme au nom de la diversité des féminismes rejoint la critique « post-moderniste », qui remet en question le modèle issu des Lumières et la centralité du sujet. Elle reçoit aussi le soutien d’un courant féministe qui, par préférence pour le radicalisme, cherche à fédérer les positions dissidentes dans les controverses actuelles (prostitution, voile islamique, laïcité) pour mieux s’opposer à ce qui serait un féminisme blanc, dominant, institutionnalisé. Le débat a son intérêt, mais il comporte un risque par les polémiques destructrices qui l’accompagnent[14].

[1] Dont les Actes vont être publiés, sous la direction de Christine Bard, aux Presses universitaires de Rennes.

[2] Et aussi tout le reste : expositions de photos, manifestations symboliques ou plus revendicatives, fêtes… Voir le blog : http://re-belles.over-blog.com/

[3] Monique Dental, Claudie Lesselier, Marie-Josée Salmon, Groupe transversal Laïcité, « Luttes féministes contre les intégrismes et les pouvoirs politico-religieux et pour la laïcité en France de 1989 à 2009, Chronologie », octobre 2010.

[4] Karl Polanyi dénonçait en 1944 la société de marché, c’est-à-dire la société gérée en tant qu’auxiliaire du marché, où le travail, la terre et la monnaie sont soumis à la loi de l’offre et de la demande, comme n’importe quelle marchandise, et qui est à l’origine des catastrophes du début du XX° siècle (Grande dépression, nazisme, fascisme, seconde guerre mondiale). Il pensait alors assister à la fin de ce système qui avait entraîné un « véritable abîme de dégradation humaine ». La grande transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps, (Editions Gallimard, 1983).

[5] Voir les affiches et slogans féministes qui déniaient au « pape qui n’en a jamais eu », le droit de « décider du nombre de nos enfants » (MLF, Textes premiers, Stock 2009, p. 170-171).

[6] L.Kandel, « Du politique au personnel : le prix d’une illusion », in GEF Paris7 Crises de la société, féminisme et changement, (Revue d’en face-Editions Tierce, 1991) ; F.Picq, “Le personnel est politique”, Féminisme et for intérieur”, in C.U.R.A.P.P, Le For intérieur, P.U.F, 1995.

[7] Voir Le libéralisme culturel face au nouvel ordre moral, Intervention, n°17, juil./Août/Sept1986

[8] Le collectif « féministes partout » se réclame de ce « féminisme paradoxal» qui voit l’émancipation comme une injonction du féminisme dominant, néo-colonial. (Collectif Féministes partout, Paris mars 2010, http://feministespartout.blogspot.com/.

[9] F.Picq, « Vous avez dit queer ?, la question de l’identité et le féminisme », Réfraction, n°24, « des féminismes en veux-tu, en voilà ! », mai 2010.

[10] Voir Monique Boireau-Rouillé, « A propos du féminisme pseudo-libertaire de M.Iacub », Réfraction, n° 24

[11] Même si en ce temps là, ce n’était pas notre idéal de libération. Je n’entre pas dans le débat sur les mères porteuses, trop compliqué pour être traité en quelques mots.

[12] Black feminism, anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, Elsa Dorlin, L’Harmattan, Bibliothèque du fémisme, 2008.

[13] Cheryl Mc Ewan, « Féminisme « occidental » et autres féminismes : politique postcoloniale et transversale », in Université des femmes, Diversité des féminismes, Bruxelles, 2008.

[14] D’ailleurs le message des « printemps arabes » n’est-il pas que la liberté, la démocratie sont des aspirations universelles.

Barbara Loyer

40 ans de mutations géopolitiques

Comment et pourquoi les mutations géopolitiques de ces dernières années doivent-elles être articulées avec l’analyse des enjeux des combats féministes ? Géopolitique est un mot de plus en plus utilisé aujourd’hui pour désigner des phénomènes très divers. On parle de géopolitique du pétrole, géopolitique de la mondialisation, il y a des atlas géopolitiques sur des thèmes et des régions très variées. Associer le mot géopolitique au féminisme ne va pourtant pas de soi.

Il est utile de préciser que par géopolitique nous entendons, dans l’équipe qui anime la revue de géographie et de géopolitique Hérodote et l’Institut Français de Géopolitique, une méthode d’analyse des stratégies de pouvoir sur des territoires précis dans des contextes où la possibilité de s’exprimer permet des débats et des polémiques entre citoyens. La géopolitique est une méthode d’analyse des stratégies mises en œuvre par des acteurs politiques pour élargir leur influence ou s’emparer du pouvoir. De ce point de vue, plus les États sont autoritaires moins on parle de géopolitique. Toutefois, avec les nouveaux médias et la mondialisation de la diffusion des idées, ces débats se déroulent parfois hors du territoire de l’Etat : c’est le cas pour Cuba ou l’Iran dont les dirigeants doivent prendre en compte l’influence des exilés qui s’organisent pour agir dans les forums et les assemblées internationales. Les lieux de la politique se sont diversifiés. Désormais, la question de l’égalité des femmes fait partie des débats au sujet de la nature des gouvernements et des formes du pouvoir et c’est pourquoi il faut aussi l’aborder par la méthode géopolitique.

Il me faut brosser un tableau des quarante ans de mutations géopolitiques qui entre en résonance avec les enjeux de ces débats, et faire un tour du monde permettant de situer l’exposition des grands enjeux du féminisme qui vont occuper les trois prochains jours. J’ai choisi trois thèmes, des événements qui ont marqué l’évolution de ces débats, qui sont aussi trois lieux, et trois époques.

1) L’apparition d’un foyer d’influence géopolitique majeur : le « golfe arabo persique dans les années 1970. Après y avoir longuement réfléchi pour savoir si je souffrais d’un tropisme méditerranéen inavoué qui serait propre à ma condition de française, je crois qu’il faut assumer que c’est un élément central des événements ayant compté dans ces quarante dernières années concernant les femmes.

2) La dislocation de l’URSS à la fin des années 1980, que j’associe à la croissance des revendications démocratiques et à l’émergence de sociétés civiles, malgré des crises graves et terriblement meurtrières concomitantes à cette évolution. Le combat des femmes au plan mondial est étroitement lié au développement des canaux d’expression démocratiques durant ces vingt dernières années.

3) Et enfin, l’émergence d’un monde multipolaire, ce qui se traduit, dans les années 2000, par le changement des rapports de force au sein de l’ONU, lieu de production de représentations géopolitiques concurrentes qui servent à légitimer des pratiques politiques concrètes.

Il faut cependant, avant même d’envisager les évolutions des rivalités de pouvoirs à l’échelle internationale, prendre la mesure du contexte démographique dans lequel elles se sont déroulées.

Ces quarante années sont une période dite de « transition démographique » et d’urbanisation. Hormis les pays d’Europe et Amérique du Nord et quelques autres comme le Japon, l’Australie ou ceux du Cône sud de l’Amérique, la plupart des États du monde ont connu entre les années 1950 et 1980 une forte croissance démographique, du fait du recul des taux de mortalité, et une augmentation de la proportion des jeunes de moins de 20 ans. Il s’agit d’une véritable révolution démographique, qui s’est accompagnée d’une rapide urbanisation et induit des changements sociétaux considérables, notamment dans les relations de pouvoir au sein des sociétés. Rappelons par exemple, que la population d’Arabie Saoudite a été multipliée environ par 5 depuis les années 1960 (au même rythme, la France serait à plus de 200 millions d’habitants aujourd’hui) et la part de la population urbaine est passée de 25 à 85%. Partout la scolarisation s’améliore et fait émerger des classes moyennes qui veulent leur part de pouvoir, et les modèles familiaux évoluent. En Afrique subsaharienne à la fin des années 1990, le nombre de femmes excède celui des hommes dans la plupart des villes. Ce qu’on appelle « la tradition » africaine n’est donc souvent plus qu’un souvenir, « même si celui-ci est chéri ou même mythifié par les générations actuelles, surtout masculines, qui se refusent encore à entériner les nouveaux rapports de genre générés par cette accélération de l’histoire[1] ». Le raisonnement peut s’appliquer dans de très nombreux pays.

L’influence des régimes du Golfe, la démocratisation, les changements à l’ONU sont à envisager dans ce contexte.

I) L’apparition d’un foyer d’influence géopolitique majeur : le « golfe arabo-persique»

L’humiliation arabe des guerres perdues contre Israël en 1967 et 1973 est la toile de fond de changements qui vont opérer après les années 1970. On parle de contre-coup géopolitique, conséquences, dans l’espace ou dans le temps, d’événements particulièrement marquants. Le triplement brutal des cours mondiaux du pétrole est en effet un des contre coups de ces guerres : la guerre du Kippour se déroule du 6 au 24 octobre 1973. Le 16 octobre 1973 l’Organisation OPEP, où les pays producteurs arabes sont majoritaires, décide une réduction des livraisons de pétrole en représailles. En décembre 1973, la veille de Noël, elle annonce un doublement des prix du pétrole. Ce fut le premier choc pétrolier.

Or il se trouve qu’environ la moitié des réserves pétrolières mondiales connues à ce jour se trouve dans le golfe arabo-persique où les forages sont particulièrement rentables et les marges de profit très élevées du fait de conditions géologiques favorables. Ces évolutions vont avoir des conséquences majeures sur l’Iran, l’Irak, l’Arabie Saoudite, membres du même cartel. Dans deux de ces trois Etats, se sont mis en place des régimes religieux qui se trouvent à la tête de mannes financières considérables (d’autant plus, dans le cas de l’Arabie-Saoudite, que le nombre d’habitants du royaume est faible), pour mettre en œuvre leurs stratégies d’expansion. Mais, et c’est là que je veux en venir, la représentation d’un unique projet géopolitique islamiste est trompeuse. Ces régimes qui œuvrent pour étendre l’influence d’une doctrine religieuse dite unique et souvent assimilée à une civilisation[2] ont par ailleurs de redoutables conflits entre eux. Les rivalités sont si fortes qu’on peut même se demander dans quelle mesure la fonction attribuée aux femmes, englobées dans le vocable essentialisant « la femme », n’a pas pour objectif de créer l’image illusoire d’une unité sacrée à défaut d’être politique.

Rappelons rapidement que l’actuelle Arabie Saoudite se crée dans les années 1930 avec la conquête militaire du pouvoir de l’ensemble de la péninsule, notamment la Mecque, par la famille d’Ibn Séoud. Celle-ci, pour asseoir une légitimité fragile, redouble d’orthodoxie musulmane et diffuse dans toute la Méditerranée la doctrine ultra orthodoxe wahhabite. Depuis les années 1960, l’Arabie Saoudite est un foyer central de diffusion de l’islamisme : les Frères musulmans d’Égypte, du Soudan, de Jordanie et de Syrie y trouvèrent asile, certains furent appointés, d’autres obtinrent des postes dans les institutions éducatives, y compris dans les universités, ou au sein des vastes organisations caritatives du pays, par exemple la Ligue islamique mondiale fondée en 1962. Alors qu’en 1966, Nasser avait fait exécuter Sayyid Qutb, l’idéologue de la confrérie, le frère de celui-ci, Muhammad Qutb, s’enfuit en Arabie saoudite, où il enseigna à la King Abdul Aziz University de Djedda. Devait l’y rejoindre dans les années 1970 l’un des chefs des Frères musulmans de Jordanie, Abdullah Azzam[3]. Les sommes consacrées à la propagation du wahhabisme sont colossales.

Cet islamisme n’est pas un pur produit de la colonisation « Le wahhabisme apparaît avant que les Européens n’arrivent au Moyen-Orient : Napoléon n’avait pas encore envahi l’Égypte et il n’y avait pas trace de l’Empire britannique en Irak ni dans les mini-États du golfe Persique. Le wahhabisme est un produit des terres de la péninsule Arabique les plus isolées, très peu en contact avec le monde extérieur[4]». Mais il se trouve que les Etats-Unis sont un allié de cet État pour protéger leurs intérêts pétroliers et que leurs gouvernements successifs ont appuyé les religieux dans l’idée qu’ils faisaient barrage à l’influence soviétique. Ils ont longtemps instrumentalisé l’islamisme au service de leurs intérêts stratégiques, l’ont canalisé contre les nationalismes arabes, l’ont retourné contre l’armée soviétique en Afghanistan. Le projet géopolitique saoudien a plus de quarante ans. Il faut pourtant attendre février 1979 et la révolution iranienne pour que cette réalité de l’islamisme apparaisse sur les écrans radars des intellectuels européens.

La révolution iranienne est en effet la première révolution populaire islamiste victorieuse. Il s’agit d’un événement qui, en Europe occidentale, a pu sur le moment être jugée positivement parce que des manifestations de rue mettaient à bas un régime répressif et allié de l’impérialisme américain. Très vite cependant, notamment chez les féministes, le caractère réactionnaire et répressif du régime qui se mit en place, est apparu et a suscité des débats contradictoires sur la légitimité de cette révolution et de ses résultats. Des femmes voilées ont accusé les féministes d’impérialisme, et ont déclaré incarner le peuple contre la bourgeoisie occidentalisée. Depuis la révolution iranienne, des femmes jouent un rôle de plus en plus important dans le mouvement islamiste : « le modèle révolutionnaire de la vraie femme musulmane enjambe les frontières nationales pour se répandre parmi les musulmanes du monde entier »[5].

La réflexion du mouvement féministe qui paraissait d’évidence universelle pour les militantes des années 1960 et 1970 a donc dû, dès les années 1980, tenir compte de ces nouveaux rapports de pouvoir dans lesquels des femmes participaient à l’oppression d’autres femmes au nom d’un projet révolutionnaire religieux. En Iran, contre les femmes non voilées, elles ont soutenu et exécuté les ordres d’un régime qui encourageait la polygamie, la lapidation, le port du voile obligatoire, etc. Dans les pays majoritairement musulmans, et dans ceux où vivent des musulmans, le nombre de femmes voilées augmente, non seulement par injonction étatique (dans les systèmes politiques islamiques), mais aussi parce qu’elles sont partie prenante du combat islamiste. Cette réalité du pouvoir exercé par des femmes sur d’autres femmes, au nom d’une morale, de traditions, d’une identité, n’est pas nouvelle, mais elle a pris plus de force à notre époque.

Évoquer cependant un projet géopolitique islamiste dont le centre serait les Etats pétroliers du Golfe et leur puissance financière masque les divisions internes au monde musulman qui sont pourtant très marquées. Pour nombre de sunnites, le chiisme est une hérésie, et pour les gouvernements arabes du Golfe, l’Iran est une menace ; ils craignent l’éventuelle accession de cet Etat à l’arme nucléaire qui entraînerait une course aux armements nucléaires dans la région et des conflits internes aux États pétroliers ; les shiites sont aussi majoritaires en Irak et au Bahreïn. Le contrôle de la Mecque est à la fois le garant de la centralité saoudienne dans le monde musulman mais aussi sa faiblesse : des milliers de pèlerins aux convictions religieuses et politiques très divergentes se rassemblent tous les ans dans la ville sous le contrôle de l’armée saoudienne. Une étincelle pourrait provoquer une émeute catastrophique pour le régime saoudien. Rappelons que cette dynastie a conquis La Mecque par les armes, que la dynastie en place actuellement en Jordanie, descendante du chérif de la Mecque Hussein ben Ali, a été chassée de la péninsule arabique par les Saoudiens en 1924. En novembre 1979, une prise d’otages par des islamistes armés à La Mecque, contre l’alliance saoudienne avec les États-Unis, se solda par plusieurs centaines de morts. Ces divergences peuvent donc sérieusement fragiliser les Etats du Golfe, et elles sont à l’origine de l’inclusion dans le jeu régional des forces occidentales et leurs armées qui compliquent encore la réalité des rapports de pouvoirs au sein de cet ensemble spirituel théoriquement uni.

Les luttes pour la direction et le contrôle du projet géopolitique islamiste sont féroces et les enjeux n’en sont pas que planétaires : la survie de chacun de ces régimes dépend de ses succès. De même, la survie de la plupart des régimes arabes non démocratiques dépend en bonne part de l’évolution de leur rapport de force avec des islamistes qui sont leurs opposants les mieux organisés[6]. Tous ces pieux personnages, hommes et femmes, sont pourtant d’accord sur au moins une chose : la fonction centrale accordée au statut de « la femme » dans l’ordre musulman pour différencier et sacraliser des relations de pouvoirs internes à leurs sociétés. Le statut des femmes, plus que la barbe ou la longueur du pantalon des hommes, est devenu un des symboles majeurs de cette idéologie. Les débats contradictoires suscités par le rôle attribué aux femmes au sein de cet ensemble ont contribué à faire du féminisme un enjeu géopolitique majeur en cette fin de XXe siècle. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de le mettre en exergue. Ces débats ont pris d’autant plus d’importance que l’aspiration démocratique s’étend. C’est mon deuxième point.

II) La fin du communisme – l’enjeu démocratique

Le deuxième lieu que je voudrais aborder est l’URSS, et le deuxième temps, les années 1990.

La disparition de l’URSS fragilise aussi dans nombre d’États l’idéal socialiste et sa vocation universaliste. En outre, et c’est le trait qu’il m’importe de souligner pour une réflexion sur les mutations géopolitiques, les années 1990 inaugurent une époque où la démocratie devient un enjeu dans un nombre grandissant d’États, quand bien même la représentation de la superpuissance militaire américaine domine souvent dans les discours, du fait notamment des guerres du Golfe. L’apartheid légal en République d’Afrique du Sud disparaît en même temps que s’effondre l’URSS. Cette évolution est concomitante de l’extension du modèle économique libéral. Le dernier quart du vingtième siècle a en effet été marqué par deux processus majeurs de changements à l’échelle internationale : la plupart des États ont délaissé leurs stratégies de développement protectionniste, d’inspiration keynésienne ou socialiste, et se sont engagés dans un processus de libéralisation économique caractérisé par l’adoption de politiques macro-économiques fondées sur les préceptes des théories néo-classiques et néo-libérales. Parallèlement, des processus de transition de l’autoritarisme à la démocratie ont touché successivement les nouveaux pays industriels de l’Europe du sud (l973-78), de l’Amérique latine et de l’Asie de l’est (1980-1988), les États communistes de l’Europe centrale et orientale et les pays en développement de l’Afrique (1989-1995)[7]. Ainsi, par exemple, la Charte africaine de la démocratie adoptée par la conférence de l’Union africaine en janvier 2007 affirme la volonté collective des États de « promouvoir les valeurs universelles et les principes de la démocratie, la bonne gouvernance, les droits de l’homme et le droit au développement ».[8]

Évidemment, ces évolutions ne font pas changer immédiatement le sort des femmes, conditions de vie, de travail, violences en tout genre, santé, qui est souvent étroitement lié à des conditions générales de développement. De même, ces évolutions se déroulent dans un monde où les conflits ethniques ou communautaires éclatent tous les jours dans ces contextes variés avec des conséquences souvent tragiques, les victimes se comptant par centaines et par milliers dans les meilleurs des cas (800 000 morts entre avril et juin 1994 au Rwanda).

Soulignons que le terme « démocratie » n’est pas entendu comme un synonyme automatique du mot « progrès ». Il ne s’agit pas de fin de l’histoire. Il signifie que, dès lors qu’il y a débats, rivalités et alliances géopolitiques, les analyses des situations dans lesquelles se trouvent les féministes de chaque pays doivent prendre en compte des pratiques du pouvoir plus complexes que lorsque la population vit dans l’isolement de la peur dictatoriale ou de l’illettrisme. En novembre 2010, les islamistes égyptiens voulaient faire appel à la justice internationale pour protester contre leur élimination du Parlement par des élections truquées. Quelques soient les objectifs que l’on se propose d’atteindre, il faut comprendre les relations de pouvoir intrinsèques à une société pour y agir.

Cette évolution est à mon avis particulièrement importante pour les questions féministes. On voit notamment apparaître de plus en plus de femmes en situation de pouvoir, ce qui situe les débats féministes moins entre femmes et hommes qu’entre différentes conceptions de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes. L’analyse au niveau local des contradictions de ces évolutions est essentielle. L’entrée des femmes en politique est à la fois un élément de démocratisation et la marque de leur inclusion dans les viviers électoraux et les rivalités de pouvoirs. Il est indispensable d’envisager les contradictions locales des combats des femmes : en Mauritanie, par exemple, les Mauresques disposent d’un certain poids social, qui leur assure quelques privilèges, contrairement aux négro-mauritaniennes qui ne bénéficient pas de tels avantages. Le rôle du paramètre « genre » n’est pas partout le même pour comprendre l’évolution des jeux politiques locaux dans des contextes culturels divers, face à d’autres paramètres tels que le tribalisme, l’indigénisme, ou le régionalisme. À qui profite le quota de 20% de femmes dans les conseils municipaux mauritaniens : aux femmes ? À une poignée de femmes ? Ou au système du pouvoir en place ?[9]

La démocratisation de nombreux États du monde diversifie les niveaux d’action du féminisme. Il faut distinguer la marge de manœuvre des femmes au sein de sociétés particulières et les combats sur des thématiques universelles.

III) Emergence d’un monde multipolaire : l’évolution des rapports de force à l’ONU

On a montré qu’il fallait prendre en compte l’insertion des combats féministes dans des rapports de pouvoirs précis sur des territoires concrets. Mais il y a des représentations qui jouent un rôle politique à un niveau planétaire. Caroline Fourest[10], Malka Marcovich[11], Jeanne Favret Saada[12], et d’autres, ont montré les enjeux contemporains de l’évolution des rapports de force au sein de l’ONU et notamment du Conseil des droits de l’homme, « à l’ombre de la Chine ». On apprend dans leurs livres comment se nouent des alliances conjoncturelles entre des États aux intérêts très variés, mais qui sont tous d’accord sur une chose : ils ne veulent pas d’ingérence internationale. Cuba, la Chine, l’Iran mènent un combat commun pour faire passer l’idée qu’il n’existe pas de modèle unique de démocratie et pour imposer le relativisme contre l’universalisme. C’est par des mécanismes onusiens que l’Arabie Saoudite se retrouve, en tant que contributeur, au conseil d’administration de l’agence Onu femmes, dirigée depuis quelques mois par l’ancienne présidente chilienne, la socialiste Michelle Bachelet.

Un moyen pour faire passer des idées générales aux implications politiques qui peuvent être importantes, est de dire qu’ils s’appliquent à de vastes territoires où les gens sont supposés avoir les mêmes intérêts. On parlera par exemple d’un ensemble des pays « victimes de l’oppression » exercée par ce qu’on appelle « le Nord », ou « l’Occident ». Sur le site du Mouvement des Non Alignés, qui rassemble des États aussi différents que la Chine et l’Arménie, le Brésil et la Corée du Nord, on peut lire : « Nous sommes ceux qui avons enduré des siècles de colonialisme, d’oppression, d’agression, d’exploitation, de négligence ». Les combats politiques des années 1960 et 1970 étaient également marqués par des conceptions assez allégoriques des rapports de pouvoir. Le monde était perçu en grands blocs diplomatiques ou guerriers : Capitaliste ou « Monde libre », Socialiste ou non alignés, et «Tiers- monde » (aujourd’hui on dit « le sud »).

Les forums internationaux sont des lieux où se construisent et d’où se diffusent des représentations que l’on peut appeler géopolitiques car elles visent à créer de vastes ensembles spatiaux qui semblent politiques parce qu’ils sont personnifiés, c’est-à-dire qu’on en fait des acteurs : les « civilisations » feraient « alliance » alors qu’une civilisation n’est pas un acteur capable d’agir , les non alignés attendraient de pouvoir collectivement prendre leur revanche sur les injustices coloniales, alors que ce mouvement regroupe des Etats extrêmement divers, etc. Les luttes actuelles pour imposer dans ces forums internationaux tel ou tel paradigme, par exemple le différencialisme contre celui de l’universalisme, au nom de territoires allégoriques censés être des acteurs géopolitique, le sud, le nord, etc., sont un enjeu important des combats féministes puisqu’elles ont un impact sur les conditions concrètes de ces combats dans les États où ils se déroulent.

Cependant, l’affichage à l’ONU d’une égalité formelle entre tous les États quelles que soient les pratiques et l’idéologie de leurs gouvernements, fait apparaître ces forums comme des coquilles vides dans lesquelles il ne servirait plus à rien d’agir politiquement, de défendre des idées et des choix de société. Aussi serait-on tenté de les déserter. Il ne faut pourtant pas abandonner ce terrain. Il est important de comprendre les stratégies mises en œuvre à ce niveau car elles ont pour objectif de faire évoluer les opinions publiques au sujet des idées ou projets qui seraient légitimes ou non, l’universalité des droits de l’homme, le multiculturalisme, la légitimité de l’interdiction du blasphème, la limitation des droits individuels au non du respect des cultures, ou de l’anti-impérialisme, etc.

On ne parlait pas de géopolitique dans les années 1970. Le terme s’est imposé après la fin de l’URSS. Il traduit le sentiment d’une complexité grandissante, d’une menace face à des évolutions difficiles à prévoir. Les combats des années 1970, dans le contexte économique des trente glorieuses, étaient porteurs d’espoir, le monde semblait aller simplement vers un avenir meilleur qu’il fallait faire advenir. Au contraire, les perspectives du XXI e siècle sont moins joyeuses, et même assez sombres tant les rivalités sont fortes, y compris entre femmes, les équilibres de pouvoirs incertains, les inégalités économiques croissantes. Mais l’enjeu démocratique ouvre aussi des perspectives passionnantes.

[1] Le ratio est de l’ordre de 850 à 900 hommes pour 1 000 femmes. Voir Catherine COQUERY-VIDROVITCH, « Histoire des Femmes d’Afrique », Clio, n°6-1997, Femmes d’Afrique,, mis en ligne le 01 janvier 2005. URL : http://clio.revues.org/index373.html. Consulté le 04 mars 2011.

[2] Site OCI : « Au cours des 40 dernières années, le nombre des Etats membres a augmenté de 25 Etats membres fondateurs à 57 Etats. L’Organisation a l’insigne honneur de galvaniser la Oummah dans une parfaite unité et a activement représenté le monde musulman en épousant les causes qui tiennent à cœur à plus de 2,5 milliards des musulmans à travers le monde. L’Organisation a des relations de concertation et de coopération avec l’ONU et d’autres organisations intergouvernementales, pour protéger les intérêts vitaux des musulmans et œuvrer pour le règlement des conflits dans lesquels des Etats membres se trouvent impliqués. En sauvegardant les valeurs cardinales de l’Islam et des musulmans, l’Organisation a beaucoup fait pour dissiper les préjugés et a fortement prônés l’élimination de la discrimination en l’encontre des musulmans, dans toutes ses formes et manifestations. »

[3] Dore Gold « L’Arabie saoudite et les racines du djihad planétaire », Outre-Terre 1/2006 (no 14), p. 255-268.

[4] Dore Gold « L’Arabie saoudite et les racines du djihad planétaire », Outre-Terre 1/2006 (no 14), p. 255-268.

[5] C.Chafiq , La femme et le retour de l’islam – L’expérience iranienne, Ed du Félin, Paris, 1991, p.13.

[6] Cette conférence a été prononcée en décembre 2010, avant les grands bouleversements en cours. La phrase sur l’opposition politique islamiste aux dictateurs révèle sans doute pourquoi l’aspiration à la démocratie au-delà des islamistes a été sous-estimée. Les gouvernements en place pensaient que c’étaient leurs plus efficaces opposants et les craignaient. Les gouvernements européens ont soutenu les dictateurs pour la même raison. L’avenir dira comment vont s’équilibrer les rapports de forces politiques dans les mois à venir dans les pays concernés par les révoltes démocratiques victorieuses, quelle sera l’influence des islamistes dans les systèmes en construction, et comment ces derniers vont s’unir ou se diviser entre eux.

[7] Diane Éthier « Des relations entre libéralisation économique, transition démocratique et consolidation démocratique », Revue internationale de politique comparée 2/2001 (Vol. 8), p. 269-283.

[8] “Dans la plupart des pays africains, le monopartisme a laissé place à l’existence de dizaines de formations politiques. L’exemple le plus frappant à cet égard est celui de la République démocratique du Congo (RDC) où l’on est passé du parti unique à plus de deux cents partis Plusieurs chefs d’États africains se sont retirés du pouvoir à l’issue des deux mandats prescrits par la Constitution de leur pays sans chercher à modifier ladite norme. Outre le Ghanéen John Kufuor qui vient de quitter le pouvoir (en décembre 2008), on peut citer le Nigérian Olésegun Obasanjo en 2007, le Malien Alpha Oumar Konaré en 2000, le Béninois Mathieu Kérékou en 2006.0Certaines juntes militaires ont rendu le pouvoir aux civils après avoir perpétré un coup d’État militaire. Il en est ainsi du colonel Wanké au Niger en 1997, du général Amadou Toumani Touré au Mali en 1991, du général Aboubakar au Nigeria en 1999, ce qui permit à l’ex-général Obasanjo d’accéder démocratiquement à la présidence de ce pays qui avait jusque-là été affecté par des coups d’État incessants. Plus récemment, le général Ould Vale a déposé le président Ould Taya et organisé des élections transparentes en Mauritanie en 2007. Babacar Guèye, La démocratie en Afrique : succès et résistancesPouvoirs 2009/2 , n° 129, p. 5-26)

[9] Céline Lesourd Femmes mauritaniennes en politique. De la tente vers le puits ?, L’Année du Maghreb, pp. 333-348. 2007.

[10] Caroline Fourest, La dernière utopie, Grasset, 2009, 287 p.

[11] Malka Markovich, Les Nations Désunies, comment l’ONU enterre les droits de l’homme, Jacob Duvernet, 2008, 186 p.

[12] Jeanne Favret-Saada, Jeux d’ombres sur la scène de l’ONU, Editions de l’olivier, 2010, 85p.

Monique Dental, Animatrice du Réseau Féministe « « Ruptures »

« L’Europe, un espace d’égalité pour les femmes ? »

La Communauté européenne qui date de 1957 avec le Traité de Rome a déployé, durant une quarantaine d’années, une activité soutenue visant à la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’Union européenne, en particulier au sein de la vie professionnelle. Cette politique d’égalité a vu le jour au sein d’une stratégie plus générale appelée l’ « égalité des chances » qui est l’un des piliers de la stratégie européenne pour l’emploi.

Pourquoi fallait-il lever les obstacles à l’égalité entre les hommes et les femmes ? Pour répondre aux enjeux économiques du système capitaliste de la fin des années 1950. Pendant la période des « Trente Glorieuses », l’économie en plein essor s’accompagne des notions de concurrence et de responsabilité individuelle. Une fois épuisé le vivier de travailleurs immigrés, la Communauté européenne a eu besoin de main-d’œuvre féminine.

I. Avancée des droits des femmes dans l’Union européenne depuis 1945

C’est l’article 119 du Traité de Rome qui date de 1957 qui est le point de départ de toute politique communautaire en faveur des femmes : il rend obligatoire l’application du principe d’égalité salariale entre les travailleurs des deux sexes, en le définissant ainsi : « A travail égal, salaire égal ». Ce sont les communistes, à l’époque, qui ont fait avancer cette proposition. Un deuxième article a permis dès cette date d’autres avancées pour les femmes. L’article 118, en effet, charge la Commission européenne de « promouvoir une collaboration étroite entre les Etats membres dans le domaine social », notamment dans les matières relatives à l’emploi, aux droits et aux conditions de travail. Il n’est pas anodin de remarquer que cette avancée s’est produite lors de la montée du mouvement féministe des années 70 qui favorisait l’approfondissement de la question de l’égalité dans les instances communautaires.

Les stratégies communautaires

Au cours de cette période, pour réaliser le principe de l’égalité des chances entre hommes et femmes les stratégies communautaires se sont articulées autour de trois axes :

– faire adopter par le Conseil une directive qui pose les principes et érige des barrières contre les tentations de retour en arrière ;

– stimuler les Etats par des initiatives concrètes et exemplaires, comme par exemple les programmes d’action communautaires pour l’égalité des chances à partir de 1982 ;

– informer les femmes et les publics en général sur les questions d’égalité.

Les instruments juridiques : les recommandations, les directives, es arrêts jurisprudentiels de la Cour de Justice.

Les « recommandations » n’étant pas contraignantes, l’Union européenne a eu recours à un autre instrument juridique, la « directive », dont l’application par les Etats est rendue obligatoire : ceux-ci, en effet, doivent transposer les directives dans leur droit national, sans les modifier. Pour ce faire, ils disposent d’un délai de un an à dix-huit mois sous peine de pénalités financières. Il existe outre les recommandations et les directives tout un arsenal de texte juridiques qui en précisent l’application directe en matière de travail, de traitement professionnel et de régimes de sécurité sociale via des jurisprudences issues d’arrêts de la Cour de Justice. Celle-ci a élaboré en particulier la notion de « discrimination indirecte ». La discrimination indirecte résulte d’une mesure apparemment neutre qui désavantage le plus souvent les femmes et qui n’est pas justifiée objectivement.

Depuis 1945, douze directives ont été prises sur l’égalité entre les hommes et les femmes. La plus importante d’entre elles est la directive promulguée en 1997 qui concerne le renversement de la charge de la preuve. Il s’agit là d’un inversement de logique, puisque c’est désormais à l’employeur de faire la preuve qu’il n’a pas discriminé la femme qui, en retour, doit prouver qu’elle a subi un dommage. Une autre directive toute aussi importante permet, en situation d’inégalité, de recourir à une politique d’actions positives jusqu’à ce qu’une situation de juste équilibre soit retrouvée.

Le dispositif administratif de la Communauté européenne

Pour asseoir sa politique de promotion des femmes, la Commission Européenne a créé un dispositif administratif spécifique : la Commission des droits des femmes de la Commission européenne. Ce seront les travaux des membres de cette Commission (associée à la Direction pour l’Egalité des Chances), conjugués aux actions des ONG, qui permettront d’élargir la problématique de l’égalité à d’autres domaines au-delà des strictes limites de celui de l’emploi. Citons par exemple :

– l’élimination des discriminations fondées sur le sexe, reconnue par la Cour européenne de Justice comme faisant partie des droits humains fondamentaux ;

– la nécessité de parvenir à l’égalité entre les hommes et les femmes dans le pouvoir de décision. Ce sont les instances européennes qui énonceront la notion de « démocratie paritaire » ;

– la nécessité de juguler les violences dont les femmes sont victimes (Conférence européenne, 1998) ;

– la dénonciation des commandos contre les centres d’IVG et du non respect des législations en vigueur en matière d’IVG dans certains pays de l’Union ;

– la reconnaissance de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, obtenue grâce aux efforts d’O.N.G. comme le Lobby européen des femmes (LEF) et l’Association internationale des lesbiennes et des gays en Europe (ILGA) qui ont pris faits et causes pour les droits des homosexuels.

Au fil des années, les O.N.G. ont été de plus en plus présentes, elles ont tissé des réseaux d’associations et de groupes de pression, de lobbying relayés dans les différentes Conférences mondiales.

Durant cette période, l’émergence des associations de femmes dans la société civile européenne présente deux caractéristiques :

– leur organisation dans les forums d’O.N.G. dans le cadre des Conférences mondiales, et leur implication dans les négociations avec les délégations étatiques ;

– l’évolution du contenu de leurs revendications.

En conclusion de cette partie, deux constats :

– Grâce aux luttes des mouvements de femmes, les deux dernières décennies ont été marquées par la prise de conscience accrue de l’étendue des discriminations envers les femmes en Europe et dans le monde ;

– Les mesures prises par l’Union européenne ont représenté, au cours de cette période un réel progrès social pour les femmes en Europe en favorisant l’apparition de textes contre toutes les discriminations : de sexe, de race, de classe et d’orientation sexuelle.

Son bilan serait donc globalement positif, même si ces mesures n’ont pas fondamentalement modifié, ni supprimé le rapport de force et de pouvoir entre les hommes et les femmes dans la société patriarcale.

2. L’Europe reste-t-elle un espace d’égalité pour les femmes ?

Le contexte économique

La mise en oeuvre des politiques d’égalité en Europe se pose aujourd’hui dans un contexte très différent : celui de la mondialisation de l’économie néo-libérale.Cette période de transformation fondamentale du système économique capitaliste patriarcal est de même nature que celle qui, en d’autres temps, a vu le passage d’une économie rurale à une économie liée à la grande industrie. Cette entrée dans la « modernité » se caractérise par le passage de la société industrielle à la société post industrielle. Pour y parvenir, tout doit être marchandise sans exception. La mondialisation libérale est un monde qui sacralise la marchandise en la plaçant au premier plan de ses choix stratégiques et politiques ; qui nie et méprise la liberté des individus même s’il l’exalte ; qui confond libéralisme et liberté, profit et partage. C’est une idéologie qui vit de l’aliénation des êtres en leur demandant, avant tout, d’être des consommateurs.

Le contexte social

L’Europe aujourd’hui, c’est plus de 500,92 millions d’habitants dont 50 millions de chômeurs officiellement recensés et les 85 millions d’habitants en situation de pauvreté (soit 17% de la population globale des 27 pays de l’Union européenne) dont une grande majorité sont des femmes.

Les études statistiques prouvent que les femmes sont touchées plus que les hommes par le temps partiel imposé, la pauvreté, la précarité et l’exclusion, au point que l’Union européenne parle de féminisation de la pauvreté. Les femmes en Europe subissent donc les conséquences directes de ces politiques qui remettent en cause non seulement leurs droits, mais aussi les acquis de la Communauté européenne les concernant. Les mesures prises à leur encontre les fragilisent en les rabaissant à une position d’objet et non de sujet ; cette situation étant de plus aggravée par un statut juridique très inégal qui les concerne dans les 27 pays de l’Union européenne. Cette régression qui touche particulièrement les femmes constitue une régression pour tous.

Les stratégies de l’Union européenne depuis la Conférence mondiale de Pékin de 1995

A partir de la deuxième moitié des années 1990, les politiques publiques de l’Union européenne adoptent une nouvelle stratégie pour traiter de l’égalité entre les hommes et les femmes.

En 1995, les Etats de l’Union ont tenté de remettre en cause les actions positives en proposant de les remplacer par la stratégie du « mainstreaming » : une politique d’égalité intégrée dans tous les domaines. Après que les associations aient exercé des pressions, les actions positives. C’est l’action conjuguée des associations qui a contraint l’Union européenne à maintenir les mesures d’actions positives qui sont finalement mentionnées à l’article 119, car même si la notion d’intégration de l’égalité hommes-femmes est un bon principe en soi, ses résultats dépendent de la façon dont il est appliqué.

Les facteurs de régression institutionnelle

Avec la C.I.G. (Conférence intergouvernementale) s’est ouvert le projet d’élargissement aux pays candidats. Les associations de femmes avaient demandé que l’égalité hommes-femmes soit un des critères d’adhésion.

Dans ce nouveau contexte politico-économique les régressions institutionnelles en matière d’égalité entre les hommes et les femmes se concentrent en particulier dans quatre domaines :

– La déqualification de la notion d’égalité ;

– L’Article 13 du Traité d’Amsterdam qui introduit la notion de lutte contre toutes les discriminations et pose la discrmination subie par les femmes parmi tant d’autres ;

– La domination politique des religions dans les Traités européens ;

– la tentative de légitimation de la prostitution comme un travail sous couvert de lutte contre le trafic des femmes.

La déqualification de la notion d’égalité entre les hommes et les femmes ne figure plus au rang des valeurs mais devient seulement un objectif ;

Avec l’article 13 du Traité d’Amsterdam, la « discrimination H/F » disparaît : alors que l’égalité hommes-femmes était érigée au rang des principes de la Communauté, elle se trouve ramenée au rang de toutes les autres discriminations. La notion d’ « égalité » (seule), érigée au rang des principes généraux, est citée aux articles 2 et 3. Le Lobby Européen des Femmes (LEF) avait présenté la rédaction d’un chapitre intitulé « Egalité hommes-femmes » conçu comme colonne vertébrale de tout le traité.

C’est en 1997 que le Lobby européen des femmes (L.E.F.) et l’Association internationale des lesbiennes et des gays (l’I.L.G.A.) prenent fait et cause pour les droits des lesbiennes et des gays face aux discrimination dont ils sont victimes. Ces revendications ont été présentées et discutées par les 15 pays de l’Union européenne à la Conférence intergouvernementale d’Amsterdam en 1997. Pour la première fois, une mention explicite de discrimination autre que celle fondée sur le sexe ou la nationalité apparait dans les traités fondateurs de l’Union européenne. L’article 13 du Traité d’Amsterdam mentionne avec les autres discriminations celle fondée sur l’orientation sexuelle, marquant ainsi une avancée importante. Cependant, la lutte contre les inégalités de sexe qui est confondue avec la lutte contre toutes les formes de discriminations disparait au bénéfice de l’article 13.

L’égalité entre les hommes et les femmes qui avait été intégrée en dernière instance suite aux luttes des associations n’est en effet pas reconnue comme une valeur qui fonde l’Union, au même titre que la dignité ou la démocratie. Autrement dit, c’est un élément caractérisant notre société mais ce n’est pas une valeur. L’é galité entre les hommes et les femmes est conçue comme un objectif à atteindre qui est érigée au rang des principes généraux, citée aux articles 2 et 3. Elle ne garantie donc en rien l’exercice de ce droit et en l’absence de tout dispositif d’application, elle se réduit à une déclaration d’intention, surtout que l’unanimité est requise pour adopter les mesures nécessaires pour combattre toute discrimination … » Les conséquences ne sont pas moindres car si l’égalité hommes-femmes ne fait pas partie des valeurs qui fondent l’Union, cela signifie qu’elle ne fait pas partie des critères d’adhésion pour les nouveaux pays entrants dans l’élargissement de la Communauté européenne. C’est la raison pour laquelle ces mêmes associations avaient demandé à l’ouverture de la C.I.G. (Conférence intergouvernementale qui a travaillé sur le projet d’élargissement aux pays candidats préfigurant le Traité de Lisbonne) que l’égalité hommes-femmes soit un des critères d’adhésion à l’Union.

La domination politique des religions dans les Traités européens

Déjà à la Conférence mondiale sur les droits des femmes à Pékin, nous avons mis en cause le statut du Vatican, reconnu comme un Etat, qui prenait part aux discussions du fait de son statut, ce qui lui permettait de participer à toutes les négociations sur la plateforme finale d’action.

Puis, le terme « héritage religieux » était déjà présent dans le travail de la Convention préparatoire à la Constitution européenne, présidée par Valéry Giscard d’Estaing, ancien président de la République française. Depuis, le texte de la Constitution européenne réserve une situation privilégiée au statut des Eglises et des associations religieuses qui sont reconnues comme interlocutrices régulières (art 1-52). Il est souligné que l’Union maintiendra un dialogue ouvert, transparent et régulier. Suite aux mobilisations des associations tenantes du Non au Traité Constitutionnel, « le statut officiel des églises a été remplacé par « la reconnaissance de l’héritage religieux » dans la version votée notamment par l’Assemblée Nationale française au mépris du rejet majoritaire par le peuple français.

Le principe de laïcité est donc exclu du cadre juridique européen. On prétend au contraire institutionnaliser l’ingérence des églises dans les affaires publiques, en les plaçant pour le moins au même niveau que les organisations représentatives de la société civile comme c’est précisé dans l’article 1-46.

Cela signifie pour les femmes une atteinte évidente au droit à décider sur notre vie, à l’égalité entre les sexes, au divorce, à la contraception, à l’avortement, aux droits des homosexuels et des lesbiennes. Il s’agit donc bien d’un recul par rapport aux libertés conquises par le mouvement féministe et les autres mouvements sociaux. Ainsi, structurellement, l’Union européenne se trouve plombée par le poids des appareils religieux qui pèse sur ses décisions. Cette menace était déjà à l’œuvre depuis 1993 dans les Conférences Mondiales, où nous avons pu assister au développement des stratégies intégristes de certains Etats et de leurs ONG.

Ces régressions au niveau des institutions en Europe ont trouvé leur écho en France. L’affaire du « voile » en 1984 et plus récemment celle sur « la loi contre les signes religieux à l’école publique » ont divisé le mouvement féministe, comme les autres mouvements d’ailleurs, syndicats et partis politiques, faisant apparaître un courant laïc féministe opposé à d’autres organisations féminises, plus conciliantes envers l’offensive des mouvements intégristes. Aborder ces sujets pour le moins épineux reste toujours une opération délicate. La reconnaissance de la mise en cause par des mouvements intégristes des droits des femmes ne fait pas l’unanimité. Après le Forum Social Européen en 2004, les organisations évitent les sujets qui fâchent pour préserver « l’unité du travail avant tout ». Pourtant, il n’y a pas longtemps encore, les organisations politiques de gauche dénonçaient toutes les religions parce qu’elles relèguent les femmes au second plan du genre humain, qu’elles encouragent la soumission patriarcale en invoquant la différence naturelle des sexes, et qu’elles mettent à mal les acquis des luttes des femmes et des féministes.

Pour nos associations, le combat contre les extrémismes religieux passe également par la solidarité envers les femmes et tous-toutes les démocrates qui luttent dans leur pays contre les intégrismes et les pouvoirs d’états religieux qui veulent imposer la religion dans l’espace public.

Depuis des associations n’ont eu de cesse d’affronter dans les forums sociaux et mondiaux les positions des intégrismes religieux, en témoigne tout particulièrement le FSE 2003, puis celui de 2006 et 2007 : Actions conjointes de la Marche Mondiale des Femmes, de Femmes Solidaires, de Jeunes Femmes, Forum Femmes Méditerranée, de « Ruptures », de la commission genre de la Confédération Paysanne, de la Coordination Egalité-Femme, des Pénélopes au FSE d’Athènes en 2008. Puis, l’IFE a fait des propositions féministes pour une Europe laïque (novembre 2008).

La tentative de légitimation de la prostitution comme un travail sous couvert de lutter contre le trafic des femmes

Déjà, au cours de la Conférence mondiale sur les droits des femmes à Pékin, en 1995, des Etats des pays du Nord de l’Europe avaient introduit une distinction entre « prostitution libre » et « prostitution forcée » pour justifier les mesures prises contre le « trafic des femmes » et non la « prostitution » en tant que telle, comme il a été souligné hier. Les conséquences de cette position ne sont pas moindres, elles reviennent à nier que la prostitution est un système qui repose sur la mise en esclavage de femmes, et c’est aussi une remise en cause de la Convention de 1949 (ONU) à partir de laquelle la France avait pris une position abolitionniste en matière de prostitution.

Si certains Etats des pays de l’Union européenne adoptent cette position c’est qu’elle représente un enjeu : il s’agit d’éliminer les instruments qui rendent illégale l’exploitation de la prostitution pour faire que le corps devienne une marchandise au même titre que n’importe quelle autre marchandise (ce qui contredit l’affirmation selon laquelle les droits des femmes font partie des droits humains fondamentaux). Car le développement de la prostitution est vu par certains Etats comme un marché potentiel très profitable au même titre que n’importe quel service. (Remarquons que cette option est en contradiction totale avec l’idée « que les droits des femmes font partis des droits fondamentaux » contenue dans la plateforme d’action de pékin (1995).

Ainsi, dans la première période de développement de l’Union européenne, mêmes si ses politiques publiques ont parfois oscillé entre égalité et égalisation, elles ont permis néanmoins de réelles avancées pour les femmes ; mais, dans une deuxième période, plus récente, avec la politique d’élargissement, dans le cadre de la mondialisation néolibérale, ses politiques ont fait place à des mesures régressives. L‘exigence d’égalité entre hommes et femmes est en réalité instrumentalisée au profit d’une compétition économique de l’Union européenne.

3. Quelles sont les perspectives de luttes pour les associations féministes

Quelle démocratie en Europe ?

Construire une société où l’égalité entre les hommes et les femmes serait conçue comme constitutive d’une démocratie moderne, durable et soutenable. Le principe de démocratie représentative contenu dans le Traité Constitutionnel (article 1-46) devrait préciser que la démocratie ne peut être représentative que si elle assure une représentation équilibrée des hommes et des femmes, c’est-à-dire la parité, et ceci à tous les niveaux de décision économique et politique.

Quelle « citoyenneté » en Europe ?

Cette question actualise la revendication du droit de vote des immigré-es qui vivent et travaillent dans les pays de l’Union européenne. Des associations de femmes se sont prononcées depuis plusieurs années sur le droit de vote des résidents étrangers immigré-es à toutes les élections. Nous savons en effet que l’histoire de la démocratie est celle d’une conquête inachevée : de même que le droit de vote des femmes a représenté une étape dans cette lente démocratisation de la République, le vote des étrangers en constitue une autre.

Ce droit – nouveau – aura aussi pour effet de rendre visible la situation de double inégalité vécue par les femmes étrangères immigrées qui sont exclues des acquis juridiques obtenus par les femmes françaises, notamment en matière d’égalité matrimoniale, par l’application injustifiée de lois personnelles des pays d’origine.

En France, des associations de femmes demandent le retrait des références aux codes de statut personnel introduites dans les Conventions bilatérales qui conditionnent actuellement l’absence de statut d’égalité des femmes immigrées dans notre pays. Les revendications qui portent sur la demande d’un statut autonome pour les femmes immigrées, celui de demandeurs d’asile et de réfugiées politiques pour fait de sexisme mettent aussi en évidence les limites de notre conception de la citoyenneté dont les frontières éclatent lorsque les droits humains fondamentaux sont en jeu. *

– Une autre demande est celle d’une harmonisation minimum des législations dans tous les domaines, appelée la clause de l’européenne la plus favorisée. Par exemple la loi cadre espagnole concernant les violences faites aux femmes serait retenue, ou la pénalisation du client de la prostitution, mesure prise par le gouvernement suédois). Pour satisfaire cette revendication, la nécessité d’organiser un rapport de force s’impose. La possibilité de réalisation est ouverte par le biais du droit d’initiative citoyenne prévoyant une pétition regroupant un million de signatures en Europe. (qui permet désormais à un million de citoyens, issus d’un nombre significatifs d’états membres, de soumettre une proposition de loi à la Commission européenne).

La place des femmes, un des fondements de la construction d’une Europe sociale

Les ONG de femmes en Europe soutiennent l’idée que la place qui sera faite aux femmes et à leur droits déterminera l’avancée des pays de l’Union vers une Europe sociale.

Nous voulons occuper la place qui nous revient pour définir l’avenir de l’Europe et donner un contenu à l’Europe sociale qui doit être le reflet des aspirations des populations et du changement qu’attendent les femmes dans leur situation. Pour cela, nous devons légiférer à égalité avec les hommes dans tous les domaines pour changer la vie des femmes parce que nous savons bien que « nos luttes changent la vie entière ».

C’est aussi dans ces moments cruciaux de rupture que nous avons à trouver des forces pour créer une dynamique. Pour nous, la finalité européenne ne doit être ni monétaire, ni économique, elle doit être sociale. Cela suppose que la régulation du marché fasse place à une redistribution des richesses en Europe et sur d’autres bases que les seules lois du marché. Dans cet esprit, la solidarité aujourd’hui, comme hier, est une arme contre l’injustice.

Cette Europe pour plus de justice, de démocratie, d’égalité et de liberté doit se faire avec toutes les femmes vivant en Europe dans l’égalité des droits avec les femmes immigrées.

Pour les associations féministes, ces conditions définissent la démocratie à construire par et pour l’Europe, garantissant aux femmes leurs pleins droits dont l’humanité toute entière bénéficiera.

Présentation des intervenantes

Tania Angeloff

Sociologue, maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine, membre de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (IRISSO) et du laboratoire Enquête- Terrains-Théories (ETT) au Centre Maurice Halbwachs. Spécialiste des questions de genre et d’emploi dans une perspective comparative internationale. Travaille actuellement sur la société chinoise et les rapports de genre au travail sur plusieurs générations. Membre du comité directeur du GDRE-MAGE (Marché du travail et genre) ainsi que du comité éditorial de la revue Travail, Genre et sociétés. A publié en 2010, Histoire sociale de la Chine : 1949-2009 (La Découverte, collection Repères, Paris) et, en 2000, Le temps partiel : un marché de dupes ? (Syros, Paris).

Paula Banerjee

Historienne, professeur à l’Université de Calcutta (Inde). Vice-présidente de l’Association internationale d’études des migrations forcées. Spécialisée comme chercheuse et comme militante dans l’étude des conflits frontaliers en Asie du Sud et du Sud-Est, de leurs effets pour les femmes, du rôle des femmes dans la paix et la guerre.

Publications récentes : Borders, histories, existences (Sage, New Delhi, 2010), Women and peace politics (Sage, New Delhi, 2008).

Sana Ben Ashour

Agrégée, professeur de droit à l’université tunisienne et militante pour les droits humains des femmes. Quatre principaux champs d’étude : l’urbanisme et la protection du patrimoine culturel immobilier, l’histoire du droit tunisien en période coloniale, la condition juridique des femmes en pays d’islam, la question démocratique et des libertés publiques dans l’aire maghrébine, arabe et musulmane. Actuelle présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates. Son implication dans le mouvement autonome des femmes l’a conduite à participer à la fondation et à l’animation de plusieurs espaces de lutte des femmes : la Commission femmes de l’Union générale des travailleurs tunisiens, l’Association des femmes universitaires pour la recherche et le développement, le Collectif 95 Maghreb-Egalité, l’Université féministe Ilhem Marzouki de l’ATFD, le Réseau Aîsha des associations des femmes arabes.

Cathy Bernheim

Ecrivain et journaliste, traductrice des autobiographies d’Angela Davis et Emma Goldman, auteure de biographies (Mary Shelley, Valentine Hugo), de romans et d’essais. Le 26 août 1970 à l’Arc deTriomphe, à Paris, elle a déposé avec une dizaine de femmes une gerbe « À la femme inconnue du soldat », acte fondateur du mouvement de libération des femmes (MLF). Elle est l’auteure de nombreux textes et photos parus dans les ouvrages collectifs féministes des année 70. Elle a raconté cette « naissance d’un mouvement de femmes » dans Perturbation, ma soeur (Le Félin), réédité en poche cette année en même temps que son essai autobiographique : L’amour presque parfait. Sous le nom de Catherine Crachat, elle a participé à la création de la rubrique du Sexisme ordinaire parue dans les TempsModernes de1973 à 1983.Co-fondatricede l’association « 40 de mouvement », du blog Re-Belles, des groupes Yes We Scan et Est-ce ta fête ?, elle a contribué activement aux actions de l’année 2010. Notamment la fête de la “Liberté, égalité sororité” du 6 juin 2010 à la Flèche d’Or, et la manifestation au Trocadéro le 26 août 2010 pour réclamer que le place des droits de l’homme soit rebaptisée place des droits des femmes et des hommes.

Sophie Bessis

Sophie Bessis a la double nationalité tunisienne et française. Agrégée d’histoire. A été journaliste, notamment à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Spécialiste des questions liées aux relations Nord-Sud et au développement, et de la question des femmes, essentiellement dans le monde arabe et en Afrique. Actuellement chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS, Paris). Secrétaire générale adjointe de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Publications récentes : L’Occident et les autres, histoire d’une suprématie (Paris, La Découverte, 2001). Las emergencias del mundo : economia, poder, alteridad (Ediciones Nobel, Oviedo, Espagne 2005). Les Arabes, les femmes, la liberté (Paris, AlbinMichel, 2007). Mujeres y familia en las sociedades arabes actuales (co-direction, Ed Bellaterra, Barcelone, 2010).

Chahla Chafiq

Ecrivaine et sociologue, a été amenée à s’exiler en France en 1982 suite à la répression massive des opposant-e-s par le pouvoir islamiste d’Iran. Est aussi une militante féministe des droits humains. Est l’une des cofondatrices du Réseau international de solidarité avec les féministes en Iran (2007). Auteure d’essais et de nouvelles, elle écrit en français et en persan. Parmi ses ouvrages publiés en français, citons : Chemins et Brouillard(Metropolis, Genève, 2005) ; Le Nouvel Homme islamiste : la Prison politique en Iran. (Le Félin, Paris, 2002). Sa thèse Islamisme et société : religieux, politique, sexe et genre. A la lumière de l’expérience iranienne a reçu en 2010 le Prix Le Monde de la recherche universitaire. Elle paraîtra aux Presses universitaires de France en 2011. Site : www.chahlachafiq.com.

Ioanna Cirstocea

Chargée de recherche au CNRS, membre du PRISME-GSPE, Strasbourg depuis 2006. Ancienne élève de l’Ecole doctorale en sciences sociales (Bucarest) et de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris) où elle a obtenu son doctorat en sociologie en 2004, elle enseigne à l’Institut d’études politiques de Strasbourg et elle a publié un livre (Faire et vivre le postcommunisme. Les femmes roumaines face à la ‘transition’, (Bruxelles, Editions de l’université de Bruxelles, 2006) et plusieurs articles qui interrogent les recompositions sociales et politiques en Europe de l’Est par le biais du genre.

Monique Dental

Monique Dental a été ingénieure d’études et de recherches à l’Université de Paris 7-Denis Diderot à la direction du Centre d’études, de documentation et de recherche pour les enseignements féministes et a coordonné le Réseau inter-universitaire et interdisciplinaire national sur le genre (RING). Militante associative de longue date, elle a fondé notamment le Collectif de pratiques et de réflexions féministes Ruptures qui organise actuellement ses activités en deux structures : un collectif non mixte et une structure mixte qui travaille en réseau pour l’intégration de l’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les questions d’actualité et de société. Publications de Ruptures : une lettre-agenda bimensuelle parmail, un bulletin mensuel de 34 pages et des dossiers d’études thématiques.

Jules Falquet

Jules Falquet est féministe et maîtresse de conférences en sociologie à l’Université Paris Diderot. Elle a vécu au Mexique et au Salvador. Elle s’intéresse particulièrement aux mouvements sociaux de résistance à la mondialisation néolibérale, dans une perspective féministe, antiraciste et anti-capitaliste. Elle a analysé le poids des institutions internationales, du complexe militaro-industriel et de l’Etat dans l’imposition du néolibéralisme, sous couvert de “développement”, dans son récent ouvrage : De gré ou de force. Les femmes dans la mondialisation (Paris, La Dispute 2008). Elle a également co-coordonné Le Sexe de la mondialisation. Genre, classe, race et nouvelle division du travail (avec Helena Hirata, Danièle Kergoat, Brahim Labari, Nicky Lefeuvre et Fatou Sow, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2010).

Michèle Ferrand

Directrice de recherche en sociologie, rattachée au laboratoire du CNRS CRESP PACSU, et chercheure associée à l’unité “Démographie genre et société” de l’INED. Elle a été l’une des actrices du développement des recherches sur le genre et a appliqué cette problématique à plusieurs champs de la sociologie : famille (avortement, paternité maternité), travail, éducation et sexualité. Ses recherches récentes ont porté sur les inter relations entre sexualité et procréation, et notamment sur la place de l’enfant, tant en France que dans quatre pays en Afrique : Burkina Faso, Ghana, Maroc et Sénégal.

Publications : L’IVG (Que sais-je ? PUF ,1987), Féminin, masculin (Paris, la Découverte, 2004), L’excellence scolaire, une affaire de famille (en collaboration avec F. Imbert et C.Marry, Paris, L’Harmattan, 1999, reparution en 2010).

Geneviève Fraisse

Philosophe, directrice de recherche au CNRS, a été déléguée interministérielle aux droits des femmes et députée européenne. A publié de nombreux ouvrages, citons parmi les plus récents : A côté du genre, sexe et philosophie de l’égalité (Le Bord de l’eau 2010), Les femmes et leur histoire, (1998-Folio-Gallimard, 2010), Service ou servitude, essai sur les femmes toutes mains, (1979-Le Bord de l’eau, 2009), Le privilège de Simone de Beauvoir (Actes Sud, 2008), Du consentement ( Seuil, 2007).

Caroline de Haas

Diplômée d’un master d’histoire à l’université de Nanterre. A été secrétaire générale de l’Union Nationale des Etudiants de France de 2006 à 2009. Collaboratrice d’un élu régional dans la vie professionnelle, elle est l’animatrice du réseau Osez le féminisme, fondé en 2009. Cette association a vocation à faire monter l’engagement féministe dans la société, notamment auprès des nouvelles générations. Elle a entre autres lancé le site internet http://www.viedemeuf.fr en réaction aux inégalités professionnelles.

Helena Hirata

Sociologue, directrice de recherche au CNRS, GTM-CRESPPA. Thèmes de recherche : théories et pratiques du care dans une perspective comparée ; division sexuelle du travail ; subjectivité et travail. Publications : Dictionnaire critique du féminisme, (Paris, PUF, 2004, dir. en coll.) ; Travail et genre. Regards croisés France, Europe, Amérique Latine, (Paris, la Découverte, 2008, dir. en coll) ; Le sexe de la mondialisation, (Presses de Sciences Po, Paris, 2010, dir. en coll.).

Rose-Myrlie Joseph

Doctorante FNS en Etudes genre à l’Université de Lausanne et en sociologie à l’Université Paris 7. Sa thèse a pour titre “L’articulation des rapports sociaux de sexe, de classe et de race dans la migration et le travail des femmes haïtiennes”. Elle est membre du Centre d’études féministes LIEGE de l’Université de Lausanne, du Centre d’enseignement de documentation et de recherche pour les études féministes (CEDREF) de l’Université Paris 7, et de l’Association française de sociologie (AFS -RT24). Elle a travaillé avec des organisations locales et internationales pendant 5 ans en Haïti, et milite avec des associations féministes et/ou minoritaires en France depuis 3 ans. Ses recherches portent sur la sexualité des filles adolescentes dans les quartiers pauvres (2006), le féminisme dans les politiques de développement (2009), le travail des femmes du Sud dans la migration interne et internationale (depuis 2007).

Liliane Kandel

Sociologue, a participé dès 1970 au mouvement de libération des femmes et, par la suite, à la mise en place et au développement des études féministes à l’Université. Elle a été co-responsable du Centre d’Etudes et de Recherches féministes (CEDREF) à l’Université Paris 7 -Denis Diderot, où elle a organisé plusieurs séminaires et colloques de recherche sur les femmes et le genre, et a activement participé au séminaire de Rita Thalmann : Sexe et race :Discours et formes nouvelles d’exclusion au 20ème siècle. Par ailleurs elle a participé aux Chroniques du sexisme ordinaire, publiées sous la direction de Simone de Beauvoir dans les Temps Modernes de 1973 à 1983 ainsi qu’à nombre de revues et ouvrages collectifs. Elle a publié Féminismes et nazisme (Odile Jacob 2004) et, en collaboration, Textes premiers-Mouvement de libération des femmes (Stock 2009). Elle est membre du comité de rédaction des Temps modernes.

Anousheh Karvar

Chercheure en sciences sociales et syndicaliste CFDT. Actuellement responsable de la politique de la formation tout au long de la vie, de cadre de vie et de lutte contre la ségrégation urbaine, elle a été en charge jusqu’en juin 2010 des questions internationales à la CFDT. En juillet 2010, elle a co-organisé la 21e édition de la Conférence internationale des études féministes iraniennes à Paris.

Mama Koite Doumbia

Présidente du Réseau de développement et de communication des femmes africaines (FEMNET) jusqu’en octobre 2010. Vice-présidente de Genre en Action depuis novembre 2008. Membre du Conseil économique social et culturel de l’Union africaine (ECOSOCC). Syndicaliste, activiste et responsable de plusieurs organisations de femmes au Mali, en Afrique et dans le monde. A publié notamment : Livret sur les droits des femmes travailleuses au Mali et Genre et politiques neo-libérales (Genre et OMD, Rabat 2006.)

Fatima Lalem

Après un parcours de militante féministe, enseignante/chercheure et de responsable au Planning familial, est adjointe au maire de Paris, chargée de l’égalité femmes/hommes et de la planification familiale. En tant que telle, elle mène une politique autour de quatre axes : la lutte contre les violences faites aux femmes, la promotion de l’égalité professionnelle, le développement d’un réseau territorial des centres de planification et la généralisation des actions de prévention et d’éducation à l’égalité et à la sexualité en direction des jeunes, filles et garçons. Elle assume également la présidence de la commission de surveillance de l’hôpital HEGP. Site : http://fatimalalem.blogspot.com.

Lena Lavinas

Professeur d’économie à l’Institut d’économie de l’Université fédérale de Rio de Janeiro, où elle détient la chaire de politique sociale. Ses domaines de recherche sont les études féministes, inégalités et systèmes de protection sociale, dynamique du marché du travail, évaluation des politiques publiques. Elle a fondé la revue Estudos Feministas, en 1992, au sein d´un collectif de féministes liées à la recherche et à l´enseignement de troisième cycle. Et elle l’a dirigée jusqu’en 1996. Entre 2002 et 2010 elle était membre du comité éditorial de Feminist Economics.

Barbara Loyer

Professeur et directrice de l’Institut français de géopolitique de l’Université Paris 8, membre du comité de rédaction de la revue Hérodote. Ses recherches portent sur le rapport entre langues et territoires, entre démocratie et géopolitique, ainsi que sur l’apport spécifique de l’analyse territoriale des différents systèmes de pouvoir. Elle rédige actuellement un livre sur la géopolitique de la question des femmes. Publications : “Géopolitique du Pays basque. Nations et nationalismes en Espagne” (Harmattan 1997) Géopolitique de l’Espagne (Colin 2006). A participé à Nouvelle géopolitique des régions françaises (Fayard 2005) au Dictionnaire des banlieues (Larousse 2009), ainsi qu’au récent numéro de Hérodote Femmes et géopolitique (1er trimestre 2010).

Malka Marcovich

Historienne et féministe, a travaillé depuis une vingtaine d’années avec de nombreuses institutions internationales, régionales etnationales, ainsi que des ONG droits humains et droits des femmes tels que Amnesty International, la FIDH, la LICRA, le Lobby européen des femmes, la Coalition contre la traite des femmes, le réseau Les femmes aussi, le collectif Article premier, le Réseau international des droits humains, Femmes solidaires, la Ligue du droit international des femmes, le Mouvement pour la paix et contre le terrorisme, le Comité laïcité république… A publié de nombreux articles et rapports autour des questions relatives aux droits universels et aux droits des femmes. Son dernier ouvrage, Les Nations désUnies, comment l’ONU enterre les droits de l’homme (Jacob Duvernet 2008), retrace les dérives de l’organisation internationale contre les droits universels depuis une dizaine d’années.

Sarah Oussekine

Sarah Oussekine est française (née à Issy les Moulineaux en 1962) d’origine algérienne. Fondatrice de l’association féministe Voix d’Elles Rebelles, qui veille dans l’ombre depuis 1995 sur le destin de jeunes filles et femmes victimes de violences dans une cité à Saint-Denis.

Françoise Picq

Françoise Picq est docteure d’Etat en science politique, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine (retraitée). A participé au Mouvement de libération des femmes et au développement des études féministes depuis les années 1970 (organisation de colloques, revues, séminaires, associations de chercheuses (ANEF : Association nationale des études féministes), réseaux d’études féministes, en France ou en Europe). Vice présidente de l’association 40 ans de mouvement. Ses travaux portent sur le féminisme, son histoire, ses théories, ses relations avec le mouvement ouvrier, le socialisme. A notamment publié : Libération des femmes : les années mouvement (Paris : Seuil. 1993. Réédition en cours.) Textes premiers-Mouvement de libération des femmes, avec Cathy Bernheim, Liliane Kandel et Nadja Ringart, (Stock 2009), Vous avez dit queer ? La question de l’identité et le féminisme (Réfraction, n°46)

Janice Raymond

Janice Raymond a été professeur, notamment d’études de genre et d’éthique médicale à l’université du Massachusetts à Amherst. Militante féministe active contre les violences subies par les femmes et l’exploitation sexuelle, elle a été co-directrice de la CATW (Coalition Against Trafficking in Women) de 1994 à 2007. En 2007, a reçu l’International Woman Award, du Zero Tolerance Trust, à Glasgow (Ecosse). Auteure de cinq livres, elle a aussi écrit de nombreux articles, traduits dans plusieurs langues, relatifs aux violences contre les femmes, la santé, le féminisme, la prostitution…

Sheela Saravanan

Sheela Saravanan est docteure en géographie et en Development Planning from India. A fait sa thèse à l’Ecole de santé publique de l’Université de technologie de Queensland (Australie). Participe actuellement au projet “Social Construction of Transnational Commercial Surrogacy in India” du centre Karl Jaspers de l’Université de Heidelberg (Allemagne). Est spécialisée dans des questions liées au genre en Asie du Sud depuis dix ans et a écrit de nombreux articles et rapports sur l’infanticide des filles, la violence contre les femmes, le commerce de la maternité de substitution.

Monique Selim

Monique Selim est anthropologue, directrice de recherches a l’Institut de recherches pour le developpement (IRD) et responsable de l’axe Travail et mondialisation dans l’UMR Développement et sociétés paris1/IRD. Ses recherches ont d’abord porté sur la France urbaine puis se sont déplacées en Asie (au Bangladesh, au Laos, au Vietnam, en Ouzbékistan et en Chine). La globalisation sous ses formes multiples et sexuées est au centre de ses intérêts.

Publications récentes : La crise vue d’ailleurs, Phélinas P., Selim M. (L’Harmattan 2010), Anthropologie politique de la globalisation, Hours B., Selim M. (L’Harmattan 2009), L’Ouzbékistan à l’ère de l’identité nationale, Bazin L., Hours B., Selim M. (L’Harmattan 2009)

Magdalena Sroda

Professeur à l’Institut de philosophie de l’université de Varsovie depuis 1982, membre de l’European Gender Equality Institute (Vilno). Travaille sur l’histoire des idées, la philosophie politique et morale, les gender studies. A été de 2004 à 2005 secrétaire d’Etat dans le cabinet du Premier ministre Marek Belka, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Principales publications : The idea of Dignity in Culture and Etics (1994), History of moral ideas (1996), Individualism and its Critics. Contemporary debates between Comunitarians, Liberals and Feminists about Subject, Community and Gender (2003) et Women and Power (2009).

Martine Storti

Professeur de philosophie, journaliste, inspectrice générale de l’éducation nationale, présidente de l’association 40 ans de mouvement. Ouvrages publiés : Je suis une femme, pourquoi pas vous ? 1974-1975 Quand je racontais le mouvement des femmes dans Libération (Michel de Maule. 2010), L’arrivée de mon père en France (Michel de Maule), 32 jours de mai (Le bord de l’eau), Cahiers du Kosovo (Textuel), Un chagrin politique(L’Harmattan). Site : http://www.martine-storti.fr/.

Wassyla Tamzali

Wassyla Tamzali a été avocate, directrice des droits des femmes à l’UNESCO. Membre fondateur du Collectif Maghreb Égalité crée à Rabat en 1992, et en 1993 fondatrice et vice-présidente du Forum international des femmes de la Méditerranée. Anime le Parlement des femmes sous les lois islamiques à la Conférence mondiale de Pékin en 1995. A mené un long combat pour faire condamner par la communauté internationale, la prostitution des femmes comme une violation des droits de la personne humaine ; en 1999, à Dhaka, au Bangladesh, a reçu en reconnaissance de ce travail, par les associations féministes abolitionnistes, le Lifetime Achievement Award. Publications récentes : Une femme en colère, lettre d’Alger aux Européens désabusés, (Gallimard 2009 ), Burqa ? (Chèvre feuille étoilée, 2010). El burqa como excusa (Saga éditorial, Espagne, 2010.

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