Déclaration de Reem ALSALEM, Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les violences envers les femmes et les filles

Déclaration de Reem ALSALEM, Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les violences envers les femmes et les filles

Déclaration de Reem ALSALEM, Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les violences envers les femmes et les filles, publiée le 22 mai sur le site des droits humains de l’O.N.U.

Traduction en français a été faite par la plateforme québécoise Tradfem,

Je suis profondément préoccupée par l’escalade actuelle de formes d’intimidation et de menaces à l’encontre de femmes et de jeunes filles pour avoir exprimé leurs opinions et leurs convictions concernant leurs besoins et leurs droits en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Le désaccord avec les opinions des femmes/filles, y compris celles de politiciennes, d’universitaires et de défenseures des droits des femmes, ne devrait jamais servir de motif pour justifier de la violence ou de l’intimidation.

En outre, la discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle est interdite dans les instruments internationaux et régionaux.

Je suis soucieuse du fait que les femmes et les organisations de femmes disposent de moins en moins d’espace pour s’organiser et/ou exprimer leur opinion pacifiquement dans plusieurs pays du Nord. Des femmes qui se rassemblent pour exiger le respect de leurs besoins en fonction de leur sexe et/ou de leur orientation sexuelle ont été menacées, attaquées et diffamées.

Les forces de l’ordre ont un rôle important à jouer et la responsabilité de protéger les rassemblements légaux de femmes. Les forces de l’ordre doivent garantir la sécurité des femmes et leur droit à la liberté de réunion et d’expression sans intimidation ni coercition.

Même si des contre-manifestants ont également le droit à la liberté d’expression et de réunion, les forces de l’ordre doivent veiller à ce que ce droit ne soit pas exercé d’une manière qui empêche les femmes d’exercer leur droit à la liberté de réunion et d’expression, que ce soit par des menaces, de l’intimidation ou l’usage de la violence, ou lorsque la parole des femmes est effectivement réduite au silence par des contre-manifestations bruyantes. Il existe une obligation légale positive de protéger les femmes dans de telles circonstances, notamment en maintenant les contre-manifestants à une distance sûre et permettant aux femmes d’être entendues. Nous avons constaté dans certains pays l’impact du défaut des forces de l’ordre d’offrir les garanties nécessaires à cet égard. Des femmes et des jeunes filles ont été exposées à de l’intimidation et à des agressions verbales et physiques, ou leurs voix ont été noyées dans le tapage de contre-manifestants qui ont tenté, souvent avec succès, d’entraver ces événements.

Les menaces et les actes de violence et la suppression des prises de parole ne devraient jamais priver les individus de leur droit à la liberté de réunion paisible. Les forces de l’ordre doivent donc garantir la protection totale des droits des femmes, des jeunes filles et de leurs alliés à exprimer leurs opinions, y compris les politiciennes, les jeunes filles et leurs alliés, les sportives, les « détransitionnistes » et les universitaires, afin de s’assurer que les auteurs de violences soient amenés à rendre des comptes.

Je note également avec inquiétude la tactique fréquente consistant à diffamer les femmes, les jeunes filles et leurs alliés qui ont des convictions légitimes et protégées au sujet de la non-discrimination fondée sur le sexe et l’attirance pour les personnes de même sexe, en traitant celles-ci de « nazis », de « génocidaires » et d’ »extrémistes » afin d’intimider les femmes, de leur inspirer de la peur et de les contraindre au silence par la honte. De telles tactiques ont également eu pour but spécifique d’inciter à la violence et à la haine contre les femmes en raison de leurs convictions. Selon le droit international des droits des personnes, la liberté d’expression doit être protégée à moins qu’elle n’incite à la violence et à la haine.

Les victimes de ce type d’attaques contre la liberté de parole et d’expression réclament des discussions respectueuses et transparentes sur la définition du « sexe », du « genre » et de l’ »identité de genre », ainsi que sur l’interaction des droits qui en découlent dans toute société.

Le devoir de ne pas exercer de discrimination fondée sur le sexe et les stéréotypes associés concernant les rôles des hommes, des femmes, des garçons et des filles est un principe du droit international des droits de la personne que les États sont tenus de respecter et qu’ils ont codifié dans la plupart de leurs législations nationales. Les préoccupations concernant l’adhésion continue à ces obligations ne doivent donc pas être délégitimées, banalisées et criminalisées.

Les femmes et les filles qui mettent l’accent sur les besoins spécifiques des femmes nées de sexe féminin et qui demandent et engagent des discussions sur les définitions du sexe et du genre, de l’identité de genre et de l’interaction des droits qui en découlent pour les détenteurs de droits dans une société donnée devraient donc être en mesure de s’exprimer et de faire part de leurs préoccupations sur ces questions, en toute sécurité et dans la dignité.

En outre, il est important que les personnes, y compris les chercheur-es et les universitaires, qui expriment leur point de vue sur les interventions dites « d’affirmation du genre », y compris pour les enfants, ne soient pas réduit-es au silence, menacé-es ou intimidé-es simplement parce qu’elles défendent et expriment ces points de vue. Ce principe est particulièrement important compte tenu de ses implications pour des questions vitales telles que la protection, la participation et le consentement des enfants, et leur éducation sexuelle.

Les mesures que je trouve particulièrement inquiétantes comprennent des représailles telles que la censure, le harcèlement juridique, la perte d’emploi, la perte de revenus, le bannissement des plateformes de médias sociaux, le retrait d’engagements et le refus de publier certaines conclusions de recherche et articles. Ces tactiques ont affecté la capacité à discuter des questions liées au sexe, au genre et à l’identité de genre au sein des universités et de la société.

J’ai en outre connaissance de politiciennes qui ont été sanctionnées par leurs partis politiques, y compris par la menace d’un renvoi ou par un renvoi effectif. Ces actions ont été accompagnées d’attaques et d’atteintes à l’intégrité, à la fois en ligne et hors ligne, et par le biais de campagnes de diffamation et d’incitation à la haine.

Selon le droit international des droits de la personne, toute restriction de la liberté d’expression doit être strictement conforme aux normes des droits de l’homme en matière de légalité, de nécessité, de proportionnalité et de poursuite d’un but légitime. Ceux qui ne sont pas d’accord avec les opinions des femmes et des filles qui expriment des préoccupations liées à l’identité de genre ont également le droit d’exprimer leur opinion. Toutefois, ce faisant, ils ne doivent pas menacer la sécurité et l’intégrité des personnes contre lesquelles ils protestent et avec lesquelles ils sont en désaccord. Les restrictions importantes à la capacité des femmes et des hommes de soulever des préoccupations concernant la portée des droits fondés sur l’identité de genre et le sexe constituent une violation des principes fondamentaux de la liberté de pensée et de la liberté de croyance et d’expression et équivalent à une censure injustifiée ou généralisée.

En outre, je note avec inquiétude la manière dont ont été interprétées des dispositions qui criminalisent de propos dits haineux sur la base d’un certain nombre de motifs, y compris l’expression ou l’identité de genre, dans certains pays de l’hémisphère nord. Certaines de ces dispositions sont interprétées comme signifiant que toute interrogation sur la portée des droits fondés sur l’identité de genre équivaut à un discours de haine contre les personnes non binaires et peut-être même à une incitation à la haine et au génocide.

Je tiens à souligner que les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique sont essentiels pour garantir que les sociétés puissent élaborer leurs priorités et leurs politiques de manière démocratique et équilibrer les droits des différents groupes dans une société pluraliste. Les tentatives visant à réduire les femmes au silence sur la base de leurs opinions concernant la portée de l’identité de genre et du sexe en droit et en pratique, ainsi que les droits qui y sont associés, affectent gravement leur participation à la société dans la dignité et la sécurité, ainsi que la prospérité et le développement de leur pays.

Mme Reem Alsalem, Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes et les filles dans le cadre des procédures spéciales

La Rapporteuse spéciale sur la violence à l’égard des femmes et des filles, en tant que procédure spéciale du Conseil des droits de l’homme, agit à titre individuel et indépendamment de tout gouvernement ou organisation.

Mme Reem Alsalem a été nommée Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la violence à l’égard des femmes et des filles, ses causes et ses conséquences en juillet 2021 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour un mandat de trois ans. Elle a pris ses fonctions le 1er août 2021.

Reem ALSALEM, Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les violences envers les femmes et les filles, publiée le 22 mai sur le site des droits humains de l’O.N.U.

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