Retraites complémentaires : des associations démentent les affirmations de la CFDT

Retraites complémentaires : des associations démentent les affirmations de la CFDT

Retraites complémentaires : des associations démentent les affirmations de la CFDT

Adéquations, Attac, Collectif national pour les droits des femmes, Les effronté-e-s, Fondation Copernic, Forum Femmes Méditerranée, Osez le féminisme, Réseau Féministe « Ruptures » répondent à la CFDT et réfutent ses affirmations selon lesquelles les pensions des femmes ne sont pas oubliées dans l’accord signé sur les retraites complémentaires.

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Nous vous avons adressé une lettre (1) pour contester l’accord sur les retraites complémentaires et nous vous remercions de votre réponse (2). Mais les éléments que vous présentez n’invalident en rien le constat que nous dénoncions sur le caractère néfaste de cet accord qui pénalise plus fortement les femmes, retraitées actuelles comme futures.

Dans la première partie de votre réponse, vous vous attachez à minimiser les inégalités de retraite qui existent actuellement entre les femmes et les hommes, pour mettre en avant une évolution future de la situation, annoncée comme très positive. Vous vous appuyez pour cela sur des projections dont vous devez pourtant savoir que, d’une part, elles sont fragiles comme le soulignent systématiquement leurs auteur.es; d’autre part, et surtout, ces projections (modèle Destinie 2) n’intègrent pas les mesures des récentes réformes de retraite qui aboutissent pourtant à freiner, voire à inverser, la tendance précédente à l’amélioration (nous y revenons plus loin). Nous nous inquiétons donc de votre position qui relativise la situation actuelle, pourtant très préoccupante, pour s’en remettre à une future amélioration, qui se révèle en outre très improbable. Peut-on attendre encore 30 ans ou plus, pour voir concrètement améliorer la situation des retraitées ?

Votre deuxième argument, par lequel vous affirmez que les basses pensions – et donc principalement les femmes – seront préservées, est à la fois faux et trompeur. Faux, car les pensions seront concernées par l’abattement instauré dans cet accord… dès le seuil de 985 euros par mois ! Rappelons qu’avec ce niveau de pension, une personne se trouve sous le seuil de pauvreté (993 euros par mois). Tout est bien sûr question de définition, mais nous ne pouvons croire que pour la CFDT, une pension de 985 euros par mois suffise pour quitter la catégorie des faibles pensions. Votre argument est également trompeur, car vous vous félicitez du fait que parmi les gens épargnés par l’abattement, les femmes seront majoritaires (les pensions vraiment faibles qui seront épargnées sont, certes, majoritairement celles des femmes) : mais cela n’atténue en rien le fait central que nous dénonçons, à savoir que les personnes aux faibles pensions seront concernées (à partir de 985 euros) et que ce sont en majorité des femmes !

En dépit de cette réalité, vous insistez sur le souci que vous avez eu de préserver les femmes : pourquoi alors avez-vous accepté que le critère qui décidera de l’exonération d’abattement (ou de l’application d’un abattement à taux réduit) soit le revenu fiscal de référence, alors que ce dernier est basé sur le revenu du couple et non sur celui de la personne qui aura à subir l’abattement ? Avec ce seul critère, une femme qui a, par exemple, une pension de 800 euros par mois (ce qui devrait la préserver de tout abattement potentiel, puisque le seuil se situe normalement à 985 euros) et dont le conjoint touche 1200 euros (3), pourra subir l’abattement de 10 % sur sa pension personnelle (soit 80 euros par mois en moins !). Sachant que dans la majorité des couples, la femme gagne moins que son conjoint, ce genre de situation risque fort de se multiplier ! Ces femmes ne feraient-elles pas partie des personnes à pensions modestes ?

Votre dernier point rappelle que les inégalités de retraite sont le reflet des inégalités professionnelles (en réalité, la retraite reflète ces inégalités en les amplifiant). Vous expliquez qu’il faut agir sur les causes, ce avec quoi nous sommes d’accord. Mais agir sur les causes aujourd’hui permettra de réduire les inégalités de pension avec un fort décalage dans le temps. Il reste indispensable de prendre des mesures pour réparer les inégalités qui touchent aujourd’hui les retraitées. De nombreuses pistes existent, y compris pour les retraites complémentaires (nous en donnons un exemple dans la partie « Développements complémentaires »).

Mais surtout, nous sommes médusé-es par votre conclusion qui dit que « présenter les femmes comme les principales victimes de toutes les réformes engagées permet surtout de défendre le statu quo » et « aboutit à ne pas demander des efforts aux hommes qui, c’est vrai, ont des retraites bien supérieures » ! Non, les associations signataires n’ont jamais défendu le statu quo, mais au contraire elles formulent des revendications concrètes pour améliorer la situation des femmes salariées et retraitées, revendications qui sont porteuses de progrès pour l’ensemble de la société ! Mais pour nous, il ne saurait être question de financer l’amélioration de la situation des femmes… en dégradant celle des hommes ! Déshabiller Pierre pour habiller Paule ne fait pas partie du projet de société féministe. Nous défendons une égalité par le haut, et elle est réalisable par une meilleure répartition des richesses, en priorité entre les revenus du capital et ceux du travail. En l’occurrence, pour cet accord sur les retraites complémentaires, ce n’est pas aux hommes salariés ou retraités que nous aurions « demandé des efforts », mais au patronat, alors qu’il ne contribuera précisément que très peu (environ 10 %) au montant des économies mises en œuvre par cet accord.

Développements complémentaires

Vous reconnaissez que les inégalités entre les femmes et les hommes concernant les pensions, durées de carrière et âges de départ sont importantes. « Oui, mais », ajoutez-vous à chaque fois, ce constat demande à être complété car ces inégalités sont en train de se réduire et, d’après les projections, les carrières des femmes convergeraient vers celles des hommes, et même « à long terme, elles partiraient en moyenne 7 mois plus jeunes que les hommes ». À vous lire, tout irait dans le bon sens ! Cet argument est irrecevable.

Les résultats des projections sont très fragiles compte tenu des fortes incertitudes liées aux hypothèses qui ont été faites. Ces projections ont supposé la pérennité de la majoration de durée d’assurance (MDA) qui permet aux femmes ayant eu des enfants de valider des durées de carrière supplémentaires. Il faut rappeler que c’est essentiellement grâce à ce dispositif que les carrières des femmes sont (ou doit-on dire « étaient » ?) en voie de rattraper celles des hommes. Or la législation a déjà changé et il n’est pas exclu qu’elle continue de changer compte tenu de la ligne générale des réformes de retraite successives. Ainsi les durées d’assurance attribuées aux femmes au titre de la MDA ont été fortement réduites (avec votre accord…), de plus leur attribution est aujourd’hui ouverte, au choix des couples, aux pères ou aux mères. Personne n’est à même d’en anticiper les conséquences en termes d’évolution des durées de carrière des femmes. C’est un aspect majeur, qui à lui seul invalide les arguments lénifiants que vous utilisez sur la convergence attendue des carrières des femmes et des hommes, et sur l’inversion dans le futur des âges de départ.

Les inégalités de pension quant à elles ne prennent nullement la voie d’une résorption. Les inégalités de salaire ont en effet cessé de se réduire depuis le milieu des années 1990 et les dispositifs familiaux, importants pour les durées de carrière, n’ont que très peu d’impact en termes de niveau de pension.

Par ailleurs, vous répétez que l’abattement (nommé contribution de solidarité) n’est que temporaire et ne sera appliqué que pendant deux ou trois ans. Mais l’expérience témoigne de nombreux dispositifs instaurés temporairement… et reconduits ensuite (par exemple la sous-indexation des pensions, reconduite dans ce même accord ; le gel du point d’indice des fonctionnaires, reconduit depuis 5 ans, etc.).

Vous n’avez cessé de dire que l’accord « prévoit des mesures pour protéger les basses pensions donc majoritairement les femmes ». Vous avez affirmé qu’aucun salarié partant à la retraite avec une pension de moins de 1100 euros ne serait touché par l’abattement (J.C. Malys, secrétaire national de la CFDT, tribune parue sur le site de Marianne le 17 octobre 2015). Or, comme présenté plus haut, c’est faux, le seuil est à 985 euros et il est même plus bas pour les personnes en couple puisque c’est le revenu fiscal de référence du couple qui arbitrera. Mais vous faites systématiquement état d’une statistique, tout aussi infondée, censée rassurer sur les effets de l’abattement : vous affirmez que l’exonération d’abattement concernera une personne sur trois partant en retraite, ce qui signifierait que parmi les futurs liquidants (personnes qui liquident leur retraite), une personne sur trois sera éligible à l’exonération de CSG (4) qui commande l’exonération d’abattement. Vous ne fournissez pas votre source, malgré plusieurs demandes. L’organisme officiel d’études sur les retraites, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) déclare ne pas avoir de telles statistiques sur les liquidants et la CSG : ces statistiques existent pour l’ensemble des personnes actuellement à la retraite, mais comme vous le savez, cet ensemble ne peut être confondu avec le flux des nouveaux liquidants de chaque année, car les caractéristiques sont bien différentes. Pourriez-vous donc nous communiquer la source de cette statistique ?

Voici enfin un exemple de mesure pour réduire les inégalités de pension :instaurer un minimum pour la retraite complémentaire.Le minimum contributif qui existe dans le régime général et qui assure un minimum de pension pour une carrière complète n’a pas d’équivalent dans le régime Arrco (dans le régime Agirc des cadres, il existe une garantie minimale de points). Au moment de leur retraite, de nombreuses femmes se retrouvent « repêchées » par le minimum contributif dans le régime de base, mais rien n’existe pour leur pension complémentaire Arrco qui représente en moyenne un tiers de la pension et qui a subi, elle aussi avec les accords successifs, une baisse sévère. L’existence d’un tel minimum bénéficierait à de nombreuses femmes et réduirait les écarts de pensions.

Paris, 30 novembre 2015.

Paru dans l’Edition Les Invités de Médiapart le 4 décembre 2015.

(1) Lettre signée le 28 octobre 2015 par Attac, CNDF, Féministes en mouvement, Fondation Copernic, Les effronté-e-s sur https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/281015/ne-signez-pas-l-accord-sur-les-retraites-complementaires

(2) Réponse publiée sur https://laurentberger.cfdt.fr/portail/retraites-complementaires-les-pensions-des-femmes-ne-sont-pas-oubliees-113_BlogPost

(3) Pour un couple, le revenu global ne devra pas dépasser 1 510 euros par mois pour être exonéré d’abattement, et 1974 euros par mois pour être éligible à l’abattement réduit à 5 %.

(4) Il y a d’ailleurs des variantes dans vos affirmations : vous disiez jusqu’à présent que l’accord « exonère de cette contribution un tiers des futurs retraités, les plus modestes » (la contribution en question étant l’abattement). Dans votre réponse ici, votre formulation a changé puisque c’est maintenant un tiers des futurs retraités qui seront « exonérés totalement ou partiellement » : les personnes partiellement exonérées font maintenant partie de ce fameux tiers, ce qui est déjà très différent (tout en restant infondé).

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