Le féminisme est création et toute créatrice est féministe – Françoise Collin

Le féminisme est création et toute créatrice est féministe – Françoise Collin

Le féminisme est création et toute créatrice est féministe – Françoise Collin par Nadine Plateau

Il s’agit ici du femmage rendu par Nadine Plateau à Françoise Collin en novembre 2012, à ce jour inédit.

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Co-fondatrice et collaboratrice de Chronique féministe, revue de l’Université des femmes et également co-fondatrice et administratrice de Sophia, réseau belge de coordination des études de genre, dont elle a été la présidente de 1997 à 2007, Nadine Plateau dirige actuellement la commission enseignement du Conseil des femmes francophones de Belgique œuvrant à l’intégration de la perspective de genre dans l’ensemble du système éducatif. Elle est aussi l’organisatrice, dans le cadre du Festival de films de femmes Elles tournent de Bruxelles, du Prix Cinégalité qui récompense pour la septième fois cette année une étudiante ou un étudiant ayant réalisé un film de fin d’études novateur et non stéréotypé en ce qui concerne les rapports femmes/hommes a réalisé en 2011 un entretien avec Françoise Collin portant sur la création littéraire, philosophique et féministe.

(Voir en annexe les bibliographies de Françoise Collin et de Nadine Plateau).

Je voudrais évoquer ici un aspect de la personne et de l’œuvre de Françoise Collin qui m’a toujours émue et intéressée. C’est son rapport à la création. Il se fait qu’avant de la connaître, je l’avais déjà rencontrée dans ses écrits littéraires.

C’était le temps où nous avions l’habitude entre ami-e-s de lire ensemble pour le plaisir les textes que nous aimions ou que nous découvrions. Je me souviens encore de ma délectation quand j’ai lu à haute voix le poème 331 W 20, Lection pour un président (Bruxelles, Transédition, 1975), paru à l’époque dans la revue Luna Park [1].

Plus tard, j’ai partagé avec Françoise des moments et des expériences d’engagement féministe (les cahiers du GRIF avaient leur siège à la Maison des femmes dont Françoise et moi étions des fondatrices) mais je n’ai jamais oublié qu’elle était poète et romancière alors que la plupart de mes amies féministes ne connaissaient pas ou ne reconnaissaient pas sa passion pour l’écriture et son attention extrême à la création des femmes.

Françoise est l’une des rares penseuses féministes francophones à avoir soutenu que le champ du symbolique dont les femmes avaient été historiquement exclues devait être un lieu de l’agir féministe, que la libération des femmes passait par une subversion du symbolique et que les femmes artistes étaient appelées à y jouaient un rôle primordial. On connaît sa formule provocatrice toute œuvre de femme est féministe [1]. Elle entendait par là que plus les femmes créent et quels que soient la forme et le contenu de leurs œuvres, plus elles contribuent à l’appréhension et à l’élaboration du monde. Elle pensait que la création des femmes était indispensable pour la constitution de ce qu’elle appelait un espace symbolique commun [1].

Françoise savait le manque de reconnaissance et d’appui dont souffrent les artistes femmes dans le monde de l’art. De là son soutien indéfectible aux femmes artistes. Elle a toujours encouragé les femmes peintres, photographes, sculpteures et écrit sur leur travail en dénonçant la critique artistique qui tentait de ressusciter les mortes mais laissaient enterrer les vivantes (« Entre poiêsis et praxis : les femmes et l’art »).

Quelles que soient les urgences auxquelles nous étions et sommes toujours confrontées – je pense aux violences à l’égard des femmes, et à tous les problèmes socio-économiques qui les affectent –, Françoise a toujours tenu bon et accordé dans sa réflexion et ses activités féministes une attention particulière à la création estimant, je la cite, que « si on se place au point de vue de l’espérance et de la volonté du féminisme comme mouvement politique au sens le plus large du terme, il ne peut y avoir de transformation des rapports sociaux sans une transformation du champ symbolique. » (Je partirais d’un mot. Le champ symbolique, op. cit., p.18).

Je viens d’évoquer la manière dont Françoise situe la création des femmes dans l’agir féministe, je voudrais souligner que, parallèlement, l’agir féministe est création. Tout se tient dans la pensée de Françoise ou plus exactement tout tient de la création. Dans ses entretiens avec Irène Kaufer, Françoise décrit le féminisme comme un « mouvement, (…) une action qui formule et reformule au fur et à mesure ses problématiques, mais qui n’a pas de représentation a priori ni de la société idéale, ni des chemins à suivre pour y parvenir » (Parcours féministe, entretiens avec Irène Kaufer), nouvelle édition revue et augmentée, iXe, mai 2014, pp. 31-32 ; première édition 2005, Labor Bruxelles, pp. 17-18).

J’ai été frappée par l’analogie entre cette conception du mouvement des femmes et celle de la création artistique qui selon Françoise vise la subversion du symbolique. Une subversion qui, pour elle, ne peut être prédéterminée, prédéfinie, qui est du domaine de l’irreprésentable, et dépend d’un travail lent, complexe, multiple soutenu par toute acteure de ce qui advient. On pourrait comparer le mouvement des femmes et le symbolique à venir, tous les deux ressortissant au domaine de l’inconnu.

Cette question de l’analogie entre création littéraire ou philosophique et féminisme me tarabustait depuis longtemps quand, lors d’un entretien avec Françoise à l’occasion d’une publication de Sophia Avec et autour de Françoise Collin sur le thème penser/agir la différence des sexes, je lui ai soumis l’hypothèse d’un même élan ou d’un même cheminement qui parcourait son activité créatrice dans l’écriture, la philosophie et le féminisme. Il y a effectivement, Françoise l’a admis, une analogie entre ces trois domaines, en tous cas en ce qui concerne l’écriture, car qu’il s’agisse de littérature, de philosophie ou de féminisme, Françoise en parle toujours comme de mondes de l’irreprésentabilité, de l’inconnu, du risque. Mais, elle hiérarchise ces trois domaines mettant l’activité artistique bien au-dessus des autres car la plus aventureuse, elle ne s’autorise que d’elle-même, elle s’invente entièrement.

Je voudrais pour terminer citer un court extrait de cet entretien où elle répond à ma question « Est-ce que le processus d’écriture est le même quand tu écris un poème ou un article ? »

Je dirais volontiers que l’essai politique féministe, même si je m’y suis largement consacrée, est en quelque sorte l’écriture du pauvre. Il relève de l’écriture mais avec des béquilles (son sujet). Le plaisir d’écrire dans l’écriture politique ou même philosophique ressemble à celui de l’écriture littéraire mais il comporte moins de risques parce qu’il s’appuie à un motif préalable, poursuit un objectif, a une adresse – un public –, comporte un espace de constitution et de réception prédéterminé, alors que l’écriture littéraire, comme l’œuvre d’art, part de rien ou plutôt d’elle-même, doit tout inventer, y compris son thème, ses formes, son rythme et surtout ses lectrices ou lecteurs, sans garantie. (…)

Le féminisme du XXe siècle a été d’abord une aventure incertaine de sa fin et de ses moyens, un pari sur l’avenir – un à venir indéterminé. Il est devenu ensuite – nous l’avons voulu – un objet identifiable, universitaire et politique. On est passé de l’insurrection à l’institution. Or l’écriture – l’art – veille à soutenir l’insurrection dans l’institution. C’est là que je me tiens, dans cet entre-deux ou cette ambiguïté certes inconfortable (F. Collin, «De la création littéraire, philosophique et féministe», entretien avec Nadine Plateau, in Penser/agir la différence des sexes. Avec et autour de Françoise Collin, Sophia , 2011.)

Telle est la posture difficile, ambiguë, où elle se tient et j’avoue que ce que Françoise dit ici de l’art me semble tout aussi pertinent pour le féminisme, particulièrement dans le contexte institutionnel actuel, qu’il s’agisse du combat social du féminisme ou du travail féministe pour élaborer un monde commun de la pensée.

Soutenir l’insurrection dans l’institution pourrait bien n’être pas seulement une démarche d’artiste mais aussi de féministe engagée, quel que soit le lieu où nous évoluons.

Nadine Plateau, SOPHIA

Féministes en tous genres publiera bientôt un ensemble d’extraits de textes de Françoise Collin portant sur féminisme, corps, désir et art.

Françoise Collin nous a quittéEs en septembre 2012. Nous poursuivons le femmage que nous lui avons rendu sur Féministes en tous genres et, en novembre 2012, chez Violette and Co, la librairie féministe par excellence.

Sur Françoise Collin, lire sur Féministes en tous genres

Un entretien de Sylvia Duverger avec Françoise Collin, « De la sororité à la solidarité »

Des articles

Rosi Braidotti, Françoise Collin, l’immigrée blanche

Penelope Deutscher, Le legs et les restes de la parole (première partie) et seconde partie.

Sylvia Duverger, « Ni universaliste, ni différencialiste, le féminisme de Françoise Collin est une affirmation de soi »

Françoise Collin ou la non-clôture en partage

Irène Kaufer, Françoise Collin, une pensée en mouvement

Diane Lamoureux, Françoise Collin ou le souci de la pluralité

Mara Montanaro, A Françoise, ma prof

Écouter l’entretien de Geneviève Fraisse et de Françoise Collin (L’Europe des idées, 16 août 2008, émission produite par Geneviève Fraisse sur France culture) :

1ère partie Arendt et Blanchot

2e partie La place des femmes en philosophie

3e partie Les Cahiers du Grif

4e partie De Beauvoir à Lacan en passant par les séducteurs et la mystique

5e partie « Cet espace où chanter commencerait vraiment ».

Bibliographie partielle sur les questions de l’écriture, de la création et de la non-reconnaissance sociale des créatrices dans l’œuvre de Françoise Collin

(Merci à toute personne qui aurait connaissance d’un article de Françoise Collin portant sur l’art et non répertorié ici de bien vouloir m’en donner les références en m’envoyant un mail à sylvia.duverger@orange.fr. A l’exception de ceux figurant dans Les cahiers du Grif, dont la liste sera complétée ultérieurement.

Je suis notamment à la recherche du lieu et de la date de publication de « N’a qu’un œil », intervention de Françoise Collin dans les marges de l’exposition Féminin/Masculin qui s’est tenu à Beaubourg en 1995-1996, semble-t-il.)

« L’empire des signes », Françoise Collin (entretien avec Irène Kaufer), Parcours féministe, réédition revue et augmentée, iXe, mai 2014, pp.135-157.

Françoise Collin, Nadine Plateau, « De la création littéraire, philosophique et féministe : un entretien avec Françoise Collin » in Penser et agir la différence des sexes, Sophia, 2011.

F. Collin, « Entre poiêsis et praxis : les femmes et l’art » in Diogène, n° 225, janvier 2009

F. Collin, « Les plages d’Agnès », in Cahiers internationaux du symbolisme, n° 122-124, 2009, pp. 43-44

Extrait d’un entretien radiophonique avec Geneviève Fraisse, diffusé en août 2008 sur France culture, écoutable et partiellement retranscrit sur Féministes en tous genres, « Cet espace où chanter commencerait vraiment ».

« La sortie de l’innocence», in Femmes et art au XXe siècle, le temps des défis, Lunes (revue), sous la direction de Marie-Hélène Dumas, Paris, 2000

F. Collin, Je partirais d’un mot, Fus Art, coll. Textes femmes dirigée par Carmen Boustani, 1999

F. Collin, « Visibilité et représentation » in Vraiment, Féminisme et art, Magasin, Centre contemporain d’art de Grenoble, 1997

F. Collin, « Textualité de la libération. Liberté du texte », Les cahiers du CEDREF, 6, 1997

F. Collin, Maurice Blanchot et la question de l’écriture, Gallimard, 1971, réédition en 1986

F. Collin, Voir et ça-voir (sur le cinéma de Jutta Brückner), Les Cahiers du Grif, n° 25, 1982

F. Collin, « Marianne Berenhaut, les poupées-poubelles », Art Press, mai 1978, reproduit ici

F. Collin, ensemble d’articles sur Gertrude Stein, Les Cahiers du Grif, n° 21-22, Gertrude Stein, 1978

F. Collin, « Marianne Berenhaut et ses poupées-poubelles », Cahiers du Grif, Leur crise, nos luttes, n°16, 1977

F. Collin, “Alina Szapocznikow, sculpteur”, Cahiers du Grif, Dé-pro-ré créer, n° 7, 1975

“Magda peint à Summit”, Cahiers du Grif, Dé-pro-ré créer, n° 7, 1975

« Céline et Julie vont en bateau : un film féminin ? », Les Cahiers du Grif, n° 5, Les femmes font la fête font la grève, 1974

« A Paris et cet hiver à Bruxelles : Women by Women » (sur le festival de films de femmes qui s’est tenu du 4 au 12 juin 1974 au Centre culturel américain), Cahiers du Grif, n° 4, L’insécurité sociale des femmes, 1974

[1] Le féminin d’ « hommage », terme emprunté à Diane Lamoureux.

[1] Revue créée en 1975 à Bruxelles par Marc Dachy, spécialiste de « Dada, la révolte de l’art », pour reprendre le titre de l’un de ses ouvrages. La revue accueille les avant-gardes littéraires et artistiques (note de S. Duverger).

[1][1] Voir, par exemple, F. Collin, « Visibilité et représentation » in Vraiment, Féminisme et art, Magasin, Centre contemporain d’art de Grenoble, 1997, p. 32 ; « Entre poiêsis et praxis : les femmes et l’art » in Diogène n° 225, janvier 2009 ; «Textualité de la libération. Liberté du texte », 2009, p. 32 (extrait en ligne dans le début de florilège publié sur Féministes en tous genres). (Note de SD).

[2] Voir F. Colin, Je partirais d’un mot. Le champ symbolique, Fus Art, Textes Femmes (collection dirigée par Carmen Boustani), juin 1999. Note de SD.

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