Une égalité homme femme encore inachevée

Une égalité homme femme encore inachevée

Par Odile Merkling (membre du Collectif national pour les droits des femmes), Suzy Rojtman (membre du Collectif national pour les droits des femmes) et Maya Surduts (membres du Collectif national pour les droits des femmes)

Le texte prévoit de mobiliser les organisations et les acteurs de la justice pour que les infractions commises au mépris de l’égalité soient davantage pénalisées. | Pixabay/Openlcons

Ça y est, cette fois on va l’avoir l’égalité. Pas l’égalité formelle, parce que celle-là on l’a déjà, mais l’égalité réelle. Tout ce qui vous empoisonne la vie durement : la non-perception des pensions alimentaires, le non-partage des tâches domestiques ou d’éducation des enfants, etc. Le projet de loi égalité femmes/hommes débattu à l’Assemblée nationale en première lecture les 20 et 21 janvier, va nous arranger ça, « selon une approche intégrée ».
Ce projet a déjà été adopté, et largement modifié par le Sénat, le 16 septembre. Le 18 décembre, la commission en a réduit la portant, notamment en ce qui a trait aux violences. Et dans le sens souhaité par le gouvernement.

Regardons de plus près : la mesure phare reste la modification du congé parental. Six mois pour les pères, 6 mois pour les mères quand on a un enfant. Avec deux enfants, jusqu’à deux ans et demi pour la mère, six mois pour le père. Les six mois sont perdus si le père ne les prend pas.

DES DISPOSITIONS QUI NE CONCERNENT PAS TOUT LE TERRITOIRE

Quel homme va interrompre sa carrière pour gagner pas même 600 euros par mois ? Les femmes, elles, font le calcul : généralement moins bien rémunérées, la crèche ou la nounou à payer, à quoi bon y ajouter les transports en commun pour en retirer une misère ? Sauf que, deux ans et demi en dehors de l’emploi signifient difficulté maximum pour y revenir, à part dans la fonction publique évidemment.

Il y a bien un chapitre sur la lutte contre la précarité dans cette loi. Mais celle-ci est limitée à une aide au recouvrement des impayés de pension alimentaire, qui existe théoriquement déjà. La caisse d’allocation familliale avancera ainsi une « allocation de soutien familial », puis mettra en œuvre des moyens renforcés de recouvrement des impayés.

Mais ces dispositions ne concernent qu’un certain nombre de départements – non précisé – et donnent lieu à une expérimentation de dix-huit mois. Pourquoi n’y aurait-t-il pas une application immédiate, alors que beaucoup d’ex-conjoints organisent leur insolvabilité ?

UN STRICT ENCADREMENT DU TEMPS PARTIEL EST NÉCESSAIRE

En matière d’égalité professionnelle, cela sert-il à quelque chose de remettre dans une loi (éventuellement avec un simple changement de vocabulaire), des choses qui sont déjà dans la loi par ailleurs, mais qui ne sont pas appliquées, sans s’interroger sur les raisons pour lesquelles elles ne sont pas appliquées ?

Ce projet de loi ne contient pas de mesures pour lutter contre l’usage abusif des contrats précaires, de la sous-traitance, des horaires atypiques, du temps partiel imposé. Un strict encadrement du temps partiel est pourtant nécessaire : limitation du nombre de contrats de ce type dans une entreprise, droit effectif au passage à temps plein pour ceux qui en font la demande.

L’obligation d’un volume horaire de 24 heures dans les contrats, instituée par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, pourrait apparaître comme un point positif. Mais elle peut être battue en brèche par des accords de branche instituant un volume minimal inférieur. Il y a, en outre, la possibilité de huit avenants temporaires au contrat de travail, ce qui peut éviter à l’avenir à un employeur de recruter des salariés en temps complet !

Comment s’assurer que les entreprises de plus de 50 salariés préparont bien le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes, alors que rien n’est prévu pour lutter contre les déserts syndicaux et le non-respect des droits du travail ?

Il y a, à ce sujet, la nécessité d’accroître le rôle et les moyens de l’inspection du travail, d’une meilleure prise en compte des procès-verbaux et des plaintes déposées, et d’étendre les possibilités de judiciarisation et d’action collective – que ce soit en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ou dans d’autres domaines.

SEULEMENT QUATRE SANCTIONS SUR 400 ENTREPRISES EN INFRACTION

De même, la possibilité de sanctions financières pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale, en cas de non-respect des obligations légales, n’a abouti jusqu’ici qu’à quatre sanctions sur 400 entreprises en infraction. En ce qui concerne les entreprises de moins de 50 salariés, la loi n’a rien prévu.

Le projet de loi comporte aussi un volet violences, qui avait été profondément remodelé par le Sénat et de nouveau modifié par la commission des lois de l’Assemblée. Certes, nous nous félicitons que l’ordonnance de protection qui vise, comme son nom l’indique, à protéger les « personnes en danger », voit son délai étendu de quatre à six mois. Mais elle reste toujours réservée uniquement aux femmes victimes de violences conjugales et menacées de mariage forcé. Pourquoi ? Mystère.

La médiation pénale en cas de violences conjugales, tant décriée par les féministes car demandant au bourreau et à la victime de se réconcilier, avait été totalement abrogée par le Sénat. La commission des lois l’a remise, « à la demande expresse de la victime » ce qui prêterait à rire, si ce n’était dramatique.

En ce qui concerne les personnes étrangères victimes de violence, le Sénat avait introduit des mesures fort intéressantes. Par exemple le fait d’attribuer dans les plus brefs délais une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger victime de violences dans l’espace public, au travail, dans la famille, au sein du couple, menacée de mariage forcé ou de mutilation sexuelle, et à une victime de la traite « si des procédures civiles et pénales liées aux violences sont en cours ».

UN AMENDEMENT BIENVENU

Bref, un salutaire élargissement, puisque ça n’était possible auparavant qu’aux titulaires d’une ordonnance de protection. Élargissement en outre logique, puisque le fait d’être en cours de procédure suppose des démarches qui engagent plus que de demander une ordonnance de protection. Cette mesure a été supprimée par la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Le dispositif de téléprotection, c’est-à-dire le téléphone grand danger, étendu maintenant dans toute la France, ne concernait auparavant que les victimes de violences conjugales. Il a été étendu « en cas de grave danger menaçant une personne victime de viol ». Et les autres ?

Le Sénat, prévoyait que soit élaboré, chaque 25 novembre, sous le pilotage du ministère, un rapport annuel de bilan de l’application de la loi sur les violences, et que ce rapport public, soit présenté devant le Parlement. Chaque département devait se doter « d’un dispositif d’observation ». Ça n’était pas du luxe, parce qu’on sait très bien que les lois sur les violences sont très mal appliquées. Cet article a été supprimé par la commission des lois de l’Assemblée Nationale. Faut-il continuer cette énumération ?

Ce texte propose des avancées réelles qu’il faut signaler. L’abandon de la référence à la « situation de détresse » pour l’avortement, remplacée par « qui ne veut pas poursuivre une grossesse ». Par ces temps de remise en cause de l’avortement en Espagne, l’amendement est le bienvenu.

Celui aussi où les personnes ayant un contrat de collaborateur libéral auront la possibilité de suspendre leur activité pour raison de grossesse. Enfin ! Ou celui sur la formation de tous les professionnels ayant à rencontrer des femmes victimes de violences. Ou celui sur la création d’un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple, et sexistes. Cette liste n’est pas exhaustive. Cependant, pourquoi rester ainsi au milieu du gué et faire les choses à moitié ?

Odile Merkling (membre du Collectif national pour les droits des femmes)

Suzy Rojtman (membre du Collectif national pour les droits des femmes)

Maya Surduts (membres du Collectif national pour les droits des femmes)

Le Collectif national pour les droits des femmes, créé en 1996, est un regroupement d’associations féministes, de syndicats et partis politiques.

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