35 ans de films de femmes

35 ans de films de femmes

35 ans de films de femmes

Le 35ème Festival international de films de femmes de Créteil s’est ouvert sur un hommage aux pionnières : Alice Guy, Dorothy Azner, Lotte Reiniger … qui, dans les cinquante premières années du cinéma, ne manquaient pas d’audace.

La section intitulée « Les bonnes », éclairée par l’analyse de la philosophe et historienne Geneviève Fraisse, a défriché avec une programmation fort variée un domaine encore méconnu alors qu’il s’agit d’une question internationale prenant de plus en plus d’ampleur. Le service domestique est en partie assuré par des milliers de femmes transplantées partout dans le monde : elles font le ménage ou s’occupent des enfants. Elles gagnent de l’argent dont elles envoient une partie à leur famille, mais parviennent-elles à l’émancipation ? La réussite sociale des femmes aisées, éduquées serait-elle possible sans ces femmes précaires, déchirées entre l’ici et l’ailleurs ? « Comment se noue la question du service à la démocratie ? ». L’exploitation n’empêche pas le regard critique de celle qui « fait » la bonne : telle est la nouvelle facette révélée par le cinéma. Cette évolution est particulièrement marquée dans deux films : « La noire de … » (1966) met en scène une jeune Sénégalaise embauchée par une famille de blancs qui, maltraitée, se suicide alors que « Le monologue de la muette » (2008) est accompagné d’autres voix de femmes qui constituent une symphonie de colères.

La richesse du festival nous obligeant à faire des choix, concentrons-nous sur les documentaires en compétition souvent animés par un vent de révolte contre les différentes formes d’injustices. Filmées de face, immobiles, plusieurs femmes sénégalaises évoquent tour à tour une face méconnue de l’immigration clandestine. Celles qui sont restées au pays nous disent avec beaucoup de retenue et de dignité comment faire face aux disparitions des maris, des frères, au silence, au deuil, aux difficultés quotidiennes. Elles nous révèlent aussi comment la pêche industrielle des grandes compagnies a ruiné les pêcheurs locaux (« Le souffle de l’océan » de Sophie Bachelier). Nous voici maintenant au Cambodge où Christine Chansou et Vincent Trintignant ont suivi, caméra à l’épaule, la résistance des habitants et surtout des habitantes d’un quartier de la capitale contre les expulsions forcées. Le gouvernement veut en effet tout raser pour vendre le terrain à des compagnies privées. Rien n’arrête ces irréductibles, ni les mensonges, ni les intimidations, ni les violences de la police. Mais finalement les bulldozers feront place nette (« Même un oiseau a besoin de son nid »). Multiples sont les formes de résistances : dans son documentaire « Comme si nous attrapions un cobra », tourné de l’été 2010 à l’été 2012, la réalisatrice syrienne Hala Alabdalla témoigne de la ténacité des artistes arabes qui luttent pour la liberté et la justice. Des caricaturistes égyptiens et syriens nous font part de leur façon de déjouer la censure et de leur conception de la caricature. L’un d’eux affirme qu’il faut dépasser le contexte local : pari réussi puisque plusieurs dictateurs ont cru se reconnaître dans ces caricatures ! … Un petit village isolé, enfoui sous la neige, à huit cents kilomètres à l’est de Moscou, « oublié » de l’administration ; un journaliste et sa femme qui, à l’opposé d’une presse souvent servile, enquêtent sur de graves problèmes : pourquoi ces poissons morts dans la rivière ? Pourquoi les habitants sont-ils privés d’eau depuis des mois et réduits à faire fondre la neige ? On a beau lui mettre des bâtons dans les roues, il continue et distribue lui-même son journal. « Nasha Gazeta » de la réalisatrice hollandaise Eline Flispe est un magnifique documentaire qui, juxtaposant des moments de la rude vie quotidienne, constitue un arrière plan de l’histoire russe contemporaine. … « Gulabi gang » s’ouvre sur une scène où des femmes vêtues d’un sari rose sont haranguées par une femme débordant d’énergie, Sampat Pal. C’est elle qui a créé en 2004 ces groupes de villageoises indiennes parcourant parfois de longues distances pour rendre justice, faire appliquer les lois, lutter contre la corruption. La réalisatrice Nishtha Jain les suit dans une première expédition concernant la mort suspecte d’une femme. Elles sont maintenant plus de 250 000 et elles continuent à chanter : le monde entier est en train de changer, ma sœur, mais toi si tu ne changes pas, que se passera-t-il ?

Marie-Josée SALMON

Présidente du Collectif Féministe « Ruptures »

Chronique publiée le 24 avril 2013 dans le Journal La Marseillaise, rubrique Regards de femmes.

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