Droit de vote des étrangers: la réforme bouge encore

Droit de vote des étrangers: la réforme bouge encore

Droit de vote des étrangers: la réforme bouge encore

23 novembre 2012 | Par Carine Fouteau

Trop vite enterrée, la réforme du droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales donne encore des signes de vie. À quelles conditions est-elle possible ? Alors que François Hollande entame lundi 26 novembre 2012 des consultations en vue d’un « renouveau démocratique » dans le sillage de la commission Jospin, pourquoi ne pas l’intégrer à une révision institutionnelle globale plutôt que de la réduire à une demande catégorielle ?

Pour nombre d’observateurs de la vie politique, la messe est dite : lors de sa conférence de presse du 13 novembre 2012, le président de la République aurait définitivement signifié l’abandon de cette promesse de gauche vieille de plus de trente ans. Mille indices vont dans le sens de cette interprétation : avant de prendre ses fonctions à la tête de l’État, François Hollande n’a jamais défendu cette proposition avec ferveur. Dans sa majorité, plusieurs personnalités, parmi lesquelles le ministre de l’intérieur Manuel Valls, ont estimé le contexte économique et social défavorable, préparant le terrain à un possible renoncement.

Devant les journalistes, le chef de l’État en est directement venu aux obstacles juridiques plutôt que de commencer son argumentaire par quelques mots sur l’importance et la nécessité d’une telle réforme. Face aux maires, le 20 novembre, il s’est abstenu d’en parler alors même que son auditoire est directement concerné. Il a en revanche donné du grain à moudre à ceux pour qui la parole présidentielle a perdu tout crédit en suggérant que les édiles pourraient ou non appliquer la loi sur le mariage pour tous en fonction de leurs convictions, faisant ensuite machine arrière.

Lors de la première conférence de presse à l'Élysée le 13 novembre 2012. © ReutersLors de la première conférence de presse à l’Élysée le 13 novembre 2012. © Reuters

En attendant d’être jugé sur ses actes, le président se défausse sur les contraintes juridiques. « Le droit de vote ne pourra pas passer par décret. Ce n’est pas le président qui décide du droit de vote », a-t-il déclaré à l’occasion de cette première conférence de presse. Il a ensuite déplié l’analyse institutionnelle, rappelant que la réforme suppose une modification constitutionnelle et que, par conséquent, elle doit soit recueillir les trois-cinquièmes des voix du Parlement réuni en Congrès, soit être adoptée par les Français par référendum. Interrogé sur cette seconde option, le chef de l’État l’a aussitôt écartée au motif que « vous croyez que je vais prendre cette décision (…) en ce moment ? »

« Présenter un texte avec le risque de diviser les Français pour au bout du compte ne pas le faire passer : je m’y refuse », a-t-il insisté. Reste la première voie, celle de la majorité qualifiée des députés et sénateurs. Mais là, il a mis en avant des impératifs techniques. Alors qu’il s’est engagé à mettre en œuvre « avec célérité » plusieurs mesures d’ordre institutionnel, comme le non-cumul des mandats, l’introduction d’une part de proportionnelle, la fin de l’immunité du chef de l’État ou la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, il a précisé avoir besoin de temps pour le droit de vote des étrangers.

« Commençons par constituer cette majorité (des trois-cinquièmes), ensuite le texte sera présenté (…). J’ai dit au gouvernement, aux responsables de groupes (parlementaires) de travailler pour constituer cette majorité. Quand cette majorité sera envisagée, je prendrai mes responsabilités. Mais pas avant (…). Je ne désespère pas. Je sais qu’il y a à l’Assemblée et au Sénat des membres classés au centre ou à droite prêts » à soutenir le droit de vote des étrangers, a-t-il assuré.

Devant le sénat le 8 décembre 2011. (CF)Devant le sénat le 8 décembre 2011. (CF)

Constater le manque de détermination, la prudence ou, plus factuellement, le report de la réforme est une chose, en conclure à l’enterrement en est une autre. François Hollande n’est-il pas condamné à faire adopter cette mesure, l’une des plus emblématiques de son programme ? Pourquoi priverait-il son camp d’une modification du corps électoral qui lui serait favorable, à court terme tout du moins ?

À quelles conditions le seuil des trois-cinquièmes est-il accessible ? Quels sont les scénarios envisageables ? Paquet institutionnel ou réforme séparée : quelle est la stratégie la plus efficace ? Dans quels délais ?

Pour répondre à ces questions, Mediapart a interrogé plusieurs constitutionnalistes, mais aussi des élus et représentants de la société civile. Tous reconnaissent que l’obtention de la majorité qualifiée est un préalable incontournable, à partir du moment où le référendum a été exclu, mais tous soulignent que seule la mobilisation politique non seulement de la majorité, mais aussi du chef de l’État lui-même, peut faire la différence.
« Cette majorité, il faut la construire »

Membre de la commission Jospin sur la rénovation de la vie politique, Dominique Rousseau, professeur de droit à Paris I, est le plus confiant dans la tournure des événements. Il considère que le président de la République n’avait d’autre solution que d’agir comme il l’a fait. Et même que, ce faisant, il protège la possibilité de réussir la réforme. « Hollande a raison, estime-t-il, on a beau tourner le problème dans tous les sens, il n’a pas la majorité des trois-cinquièmes. Or il la lui faut, c’est incontournable. »

Selon les estimations, il manquerait actuellement une quarantaine de voix de parlementaires. « Cette majorité, poursuit-il, il faut la construire. Lorsqu’il a reçu les membres de la commission, le président a annoncé qu’il envisageait la révision constitutionnelle pour le milieu d’année prochaine. Il reste peu de temps, mais c’est encore possible d’y intégrer le droit de vote. S’il n’y parvient pas, mieux vaut reporter que de prendre le risque d’un rejet. À ce niveau, ce ne serait pas rattrapable. »

Pour autant, Dominique Rousseau estime que le chef de l’État ne peut pas se permettre d’échouer, « la gauche ne lui pardonnerait pas ». « Il se doit d’aboutir », insiste-t-il.

La tâche ne lui paraît pas insurmontable, au contraire. Pour être adopté, le projet de loi doit d’abord être voté à la majorité et à l’identique à l’Assemblée nationale et au Sénat avant d’être examiné à la majorité qualifiée au Congrès. Les sénateurs ayant approuvé largement en décembre 2011 une proposition de loi du même type, une réédition est envisageable dans les deux assemblées. Par le passé, plusieurs responsables de droite, notamment Nicolas Sarkozy et Yves Jégo, se sont déclarés pour, signe qu’une réserve existe à droite.

Depuis la fin de la campagne pour la présidence de l’UMP, les centristes sont aussi susceptibles de retrouver quelques marges de manœuvre en matière de liberté de parole. Aujourd’hui critique, selon les sondages, l’opinion publique peut redevenir favorable à une réforme qu’elle a soutenue dix années durant. Pour peu que le climat politique s’apaise. En la matière, la responsabilité des dirigeants de tous bords est déterminante, le préalable étant le rejet de la xénophobie.

Pour convaincre la poignée d’élus de droite et du centre qui lui fait défaut, l’exécutif ne devrait-il pas privilégier une réforme globale des institutions intégrant le droit de vote des étrangers ? Cette mesure ne constitue pas seulement une avancée pour les étrangers non communautaires, elle concerne l’ensemble du corps électoral. Pourquoi dès lors ne pas l’articuler aux enjeux de la rénovation de la vie politique ? Est-il encore temps ?

Comme Dominique Rousseau, Julie Benetti, également membre de la commission Jospin, regrette que le droit de vote ait été écarté de la lettre de mission adressée à l’ancien premier ministre. « Cela aurait eu du sens de l’intégrer à notre réflexion sur la rénovation de la vie publique et le renouveau démocratique », indique cette professeure de droit public à l’université de Reims. En leur temps, l’accession des femmes puis celle des jeunes au suffrage universel ont constitué des leviers décisifs de la modernisation des institutions.

« L’extension du droit de vote et donc de celui d’éligibilité sont des éléments essentiels de la démocratisation de la vie publique », souligne-t-elle, tout en admettant qu’il serait dommageable qu’un paquet législatif fasse les frais d’une mesure contestée. Pour l’heure, elle ne croit guère à la possibilité d’une réforme : « Je crains que la promesse ne soit pas tenue et que derrière l’argument juridique tenant à l’absence d’une majorité, se cache, une fois de plus sur cette question, un manque de volonté politique. »

« Où est la volonté politique ? »

Professeur de droit constitutionnel à Paris I, Bertrand Mathieu est lui aussi sceptique. Les dernières déclarations de François Hollande le portent même à parler d’abandon. « Dans la géographie politique actuelle, un vote aux trois-cinquièmes me paraît improbable. Or, sur ce sujet, il faut aller vite. Les délais sont longs pour faire passer une réforme constitutionnelle. Pour être prêt pour les municipales, il ne faudrait plus tarder. Par ailleurs, plus le temps passe, plus les positions, en vue de la prochaine élection présidentielle, vont se radicaliser, rendant impossible un consensus», indique-t-il.

Il estime qu’il aurait été plus judicieux d’intégrer le droit de vote des étrangers dans une réforme plus large. Mais il considère que cela n’aurait pas forcément suffi à convaincre au-delà de la gauche.

« Où est la volonté politique ? Sans elle, rien n’est possible », résume le constitutionnaliste. Dans les rangs de la majorité parlementaire, on assure qu’elle est bien là. Signataire de l’Appel des 77 députés PS pour le droit de vote des étrangers, Pouria Amirshahi promet qu’« on ira chercher les voix avec les dents ». « On les appelle tous individuellement pour les convaincre », indique-t-il, envisageant des appels, des lettres publiques et des tribunes. « Si on n’y arrive pas par cette voie, on en passera par la pédagogie d’opinion et pourquoi pas par le référendum », poursuit-il. « C’est un faux procès qui est fait à François Hollande que de dire qu’il ne veut pas y aller. De toutes façons, il n’a pas le choix ! » lance-t-il.

Il estime qu’il serait « plus cohérent » d’inscrire la mesure dans une réforme générale. Le député Mathieu Hanotin, également signataire, est en désaccord : « Nous devons assumer le droit de vote des étrangers en tant que tel et ne pas le noyer dans un paquet institutionnel. » « À la première écoute, reconnaît-il, je n’ai pas été très satisfait de la dernière intervention présidentielle. J’ai eu l’impression qu’il reculait. Mais en réécoutant, j’ai entendu qu’il voulait mener le débat. »

« C’est un devoir de justice démocratique que de faire acter ce principe, déclare-t-il. La fin des élections à l’UMP va peut-être permettre de discuter plus sereinement avec les élus de l’opposition. Nous mènerons cette campagne individuellement, mais il faut aussi des relais dans la société. »

Autre pétitionnaire, Laurent Grandguillaume assume le paradoxe : « François Hollande a raison de dire qu’il faut du temps, c’est la seule possibilité pour trouver la majorité des trois-cinquièmes. En même temps, il faut bien l’avouer, plus le temps passe, plus c’est difficile. » Lui aussi indique parler de la réforme autour de lui. Pas sûr que les relations interpersonnelles suffisent à surmonter les hésitations. Parlementaires de la majorité, partis de gauche et société civile : la mise en mouvement de l’ensemble de ces acteurs est indispensable.

À la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Vincent Rebérioux est chargé de coordonner les actions sur ce thème. « C’est maintenant que cela se joue. Nous, associations, sommes prêts à faire le boulot. Et François Hollande ? J’ai pris une claque comme tout le monde en l’écoutant, mais je n’ai jamais pensé que c’était enterré. Le lendemain, à l’issue du conseil des ministres, il a été question de mobilisation. Allons-y ! » lance-t-il, rappelant qu’au Congrès, les trois-cinquièmes correspondent aux suffrages exprimés, « ce qui donne toute son importance à l’abstention. »

« Pour que ça passe, tout le monde doit s’y mettre, assène-t-il, les parlementaires, les partis, les militants associatifs. La LDH est allée à la rencontre des maires. De nombreux élus locaux de droite et du centre y sont favorables. Les associations se mettent aussi en ordre de marche. Nous travaillons à des campagnes nationales dans les trois mois qui viennent pour dire qu’il faut le faire maintenant. Ça va passer par des pétitions, des votations citoyennes. »

Première initiative, un colloque à la Maison de l’Europe est organisé le 14 décembre (avec notamment le collectif Votation citoyenne) pour dresser le bilan du droit de vote dans l’Union européenne. « Dans les 16 pays sur 27 où il est mis en œuvre, le droit de vote n’a jamais conduit à des dérives communautaristes, remarque-t-il. Nous allons lever les peurs ! »
« Il y a quelques années, on aurait été plus ouverts »

Face au risque réel que cette réforme soit reportée aux calendes grecques, certains défenseurs commencent à lister d’éventuelles concessions. La loi pourrait être adoptée en 2013, mais ne serait pas appliquée aux municipales de 2014, afin d’éviter les accusations d’instrumentalisation du corps électoral. Autre hypothèse, le droit de vote serait accordé, mais sans l’éligibilité, comme en Belgique, manière de couper court à l’argument du “danger communautariste”. Un troisième scénario serait d’instaurer le principe de réciprocité, en vigueur en Espagne et au Portugal, où le vote est ouvert aux ressortissants de pays qui l’accordent en retour aux Espagnols et aux Portugais.

Dans le groupe des centristes, la confusion règne depuis que le chef de file de l’UDI, Jean-Louis Borloo, a demandé au gouvernement de renoncer à la réforme après avoir déclaré quelques semaines plus tôt qu’il y était « plutôt favorable ». À l’Assemblée nationale, Bertrand Pancher fait partie de ces voix convoitées par la gauche. Il évoque un « très beau sujet » et rappelle la « nécessité de développer de nouvelles formes de gouvernance ».

Mais, enchaîne-t-il aussitôt, « le contexte n’est pas favorable ». « Il y a quelques années, ajoute-t-il, on aurait été plus ouverts. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : en l’état, la grande majorité de mon groupe ne voterait pas cette réforme. » À moins que le gouvernement n’introduise le principe de réciprocité. « Compte tenu des crispations, juge-t-il, cela nous paraît être un bon compromis pour faire évoluer les pratiques tout en répondant aux inquiétudes. »

Malgré les efforts que les élus socialistes les plus motivés affirment déployer, le centriste indique n’avoir encore été approché par personne. L’idée de compromis n’effraie pas Vincent Rebérioux à la LDH : « On en est au stade où tous les arrangements sont envisageables. Je ne dis pas que tous me conviennent, mais la priorité est de mettre le pied dans la porte. » L’objectif ? Faire en sorte que le processus soit irréversible.

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