Edito Novembre 2012

Edito Novembre 2012

« Langage et oppression. Des mots pour ne pas le dire »

Le verdict du tribunal de Créteil du procès des viols en réunion a suscité indignation et révolte de la part des associations féministes (dix acquittés, quatre condamnés à des peines de deux à cinq ans dont quatre avec sursis, un à cinq ans dont quatre et demi avec sursis et le dernier à trois ans avec sursis). Nous avons donc adressé au Président de la République une lettre réclamant un changement radical dans le traitement des violences masculines faites aux femmes.

Rappelons que, dans les cas de viol, une toute petite minorité des victimes ose porter plainte (environ 10 %) parce que le parcours judiciaire est un supplice, mais aussi parce que l’issue du procès est fort incertaine. En effet, toutes sortes de tactiques, de stratégies sont mises en œuvre pour occulter, dénier, minimiser les violences masculines. Parmi celles-ci, citons :
la culpabilisation des victimes ; celles-ci seraient responsables de la violence que les hommes leur infligent ;
Leur déshumanisation : elles sont réduites à des objets sexuels, à des produits de consommation. C’est d’ailleurs le fond de commerce de la pornographie ;
Leur inculpation : si elles ne réussissent pas à rassembler assez de preuves, elles risquent d’être pénalisées pour accusation calomnieuse.

En outre, les femmes sont prises dans un environnement social où les catégories patriarcales dominantes ont construit un langage visant à légitimer la violence et son déni. Le langage n’est pas seulement un paradis des glaces censé refléter la réalité, il est aussi comme l’écrivait la linguistique Marina Jaguello, « partie prenante dans la production et la reproduction de la réalité. » Il est la représentation des relations de pouvoir. C’est ainsi que l’euphémisation des termes vise à masquer ou à atténuer la violence et à dissimuler la responsabilité de l’agresseur. Des expressions comme « femmes battues », « violences conjugales » employées pour désigner la seule violence masculine, cachent derrière un rideau de fumée ceux qui frappent et qui tuent. Autre exemple : « les violences sexuelles » sont parfois présentées comme « des abus, des dérives », ce qui laisserait supposer qu’il s’agit d’une anomalie dans un système où tout irait pour le mieux. Dans la langue des juristes, il existe même une catégorie de viols appelée « viol sans violences » comme si le viol n’était pas une violence en soi. Le brouillage de la perception de la réalité est tel que, dans certains pays, le viol parce que qualifié d’adultère, est puni comme tel, car rien n’est plus grave que de tromper son mari ! A ce stade d’inversion des valeurs, on rejoint le monde dénoncé par Orwell dans son roman « 1984 » : « La guerre, c’est la paix, l’esclavage, c’est la liberté ».

Il nous faut donc continuer à mettre en évidence ces rapports de domination à la fois masqués et autorisés par le langage. Il nous faut briser cette gangue pour faire entendre ce que certains ne veulent pas entendre et dénoncer sans relâche le fait que les violences sexuelles masculines continuent, malgré tout, à être perçues dans une dimension a-historique, comme si, de tout temps, tout se résumait à « une histoire de fesses ». Ainsi se construisent les stéréotypes qui visent à geler la pensée afin de mieux maintenir le statuquo.

Marie-Josée SALMON.

(Extrait du Bulletin du Réseau Féministe « Ruptures » n° 336-Novembre 2012)

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