« Les femmes sont les véritables créancières de la dette publique »

« Les femmes sont les véritables créancières de la dette publique »

« Les femmes sont les véritables créancières de la dette publique »

Impacts des mesures d’austérité sur les femmes en Europe par Christine Vanden Daelen

18 novembre 2011

La dette, cheval de Troie d’une guerre sociale sans précédent contre les peuples d’Europe, n’est nullement neutre du point de vue du genre. Les mesures d’austérité imposées en son nom sont sexuées autant dans leurs caractéristiques que dans leurs effets. Partout, elles s’abattent sur les salarié-e-s, les retraité-e-s, les chômeurs/euses, les « sans » de tout ordre (sans logement, sans papier, sans minimum vital…) voulant leur faire payer les effets d’une crise profonde dont ils et elles ne sont en rien responsables. Partout, elles imposent les pires régressions sociales aux populations les plus fragilisées, les plus pauvres et donc majoritairement aux femmes ! Et parmi elles, les plus vulnérables (cf. : les mères célibataires, les femmes jeunes, âgées, migrantes, les femmes provenant d’une minorité ethnique, du milieu rural ou encore ayant été victimes de violences) seront les plus pressurisées pour voler au secours des profiteurs de la dette.

Tout comme les plans d’ajustement structurel ont exténué et appauvri les femmes du Sud, les plans d’austérité saigneront celles d’Europe. Les mêmes mécanismes découlant d’une même idéologie néolibérale sont désormais partout à l’œuvre. Privatisations, libéralisations, restrictions budgétaires au menu des mesures d’austérité sabrent les droits sociaux des femmes, accentuent leur pauvreté, durcissent et aggravent les inégalités entre les sexes et sapent les acquis féministes. Nul doute que les innombrables reculs socio-économiques testés sur elles aujourd’hui pour que les capitalistes n’aient pas à payer la crise qu’ils ont provoqué seront demain infligés à toutes les classes populaires, femmes et hommes.
Tour d’horizon européen des régressions sociales imposées aux femmes au nom de la dette

Parmi les principales mesures concoctées pour les gouvernements d’Europe, placés sous la tutelle ou la forte influence du FMI et des Institutions européennes, figurent en bonne place : une baisse généralisée des salaires et des retraites, la casse de la protection sociale, la destruction des services publics, la remise en cause du droit du travail et l’augmentation de la fiscalité sur la consommation. Toutes ces politiques sanctionnent à terme, l’émancipation des femmes en Europe.

I. Une diminution des revenus du travail rémunéré des femmes

Bien avant la récession, la situation des femmes sur le marché du travail était déjà loin d’être égalitaire (à celle des hommes). L’emploi féminin reste caractérisé par une forte ségrégation femmes-hommes par type d’activité, des écarts salariaux, un taux élevé de travail à temps partiel et la concentration dans les secteurs de l’économie moins rémunérateurs, sous-valorisés, moins protégés par la sécurité sociale et informels. Dans de telles circonstances, il n’est pas étonnant que les femmes se trouvent dans une situation moins avantageuse pour affronter la crise.

Plusieurs facteurs, en lien direct avec la crise de la dette et les mesures macro-économiques qui lui sont associées, impriment une pression sur les revenus du travail rémunéré des femmes :

1. Le taux de chômage des femmes augmente

Si, dans sa première phase, la crise a frappé de plein fouet les secteurs à prédominance masculine (cf. secteurs bancaires, du bâtiment, de l’industrie automobile et des transports), les secteurs où les femmes sont majoritaires (cf. les services aux personnes et aux entreprises – horeca, nettoyage, etc. – les secteurs financés par les pouvoirs publics ainsi que ceux de la vente et du commerce) sont actuellement directement et très fortement touchés. Cet impact sexuellement différencié de la crise sur l’emploi des femmes et des hommes est révélateur de la prégnance de la segmentation professionnelle (déjà soulignée plus haut).

Les pertes d’emplois féminins sont essentiellement imputables au non renouvellement de contrats à durée déterminée, à la perte de pouvoir d’achat des consommateurs/rices et des utilisateurs/rices de services et aux coupes budgétaires dans les finances publiques imposées par les mesures d’austérité. Comme les femmes sont, en Europe, largement prééminentes dans les services publics (elles constituent pas moins des 2/3 des actifs des secteurs de l’éducation, de la santé et de l’aide sociale), les restrictions financières exigées des pouvoirs publics les touchent disproportionnellement. Un nombre considérable de femmes perdent leur emploi et voient leurs revenus déjà restreints encore chuter. Or, comme on sait qu’aujourd’hui comme hier ce sont les femmes qui assurent l’essentiel des frais de nourriture, de santé et d’éducation de la famille, on mesure combien cette baisse de leur pouvoir d’achat va affecter les enfants et les personnes à charge mais également les femmes les plus pauvres qui ont tendance à faire passer les besoins de la famille avant les leurs. Cela a un impact direct sur leur santé physique et morale : elles mangent moins et/ou moins bien, s’abstiennent de soins palliatifs et préventifs, sans parler des privations sur les événements culturels, sociaux, les lectures, … Cette glissade vers la précarité les amène souvent à chercher un 2ème voire un 3ème emploi et à recourir au crédit pour pouvoir assurer les besoins de leur famille et leur survie. Ce n’est pas un hasard si le micro-crédit se développe en Europe, avec pour cible favorite les femmes et leurs « fringales consuméristes » !

Si les pertes d’emplois des femmes sont moins soudaines, moins spectaculaires et donc moins visibles que celles qu’ont connu et connaissent encore les hommes, elles ne sont certainement pas moins douloureuses. De fait, les conséquences du chômage sont plus tragiques pour les femmes sur le long terme. Dans la mesure où elles ont en moyenne moins d’expérience professionnelle valorisée que les hommes et que leurs carrières sont souvent basées sur des emplois à temps partiels avec des contrats temporaires et des périodes d’interruption, les femmes sont plus vulnérables sur le marché du travail et éprouvent dès lors davantage de difficultés à retrouver un emploi.

En outre, les enquêtes attestent que les femmes sont plus susceptibles d’être licenciées lorsque les emplois se font rares car les hommes sont encore et toujours considérés comme des gagne-pains légitimes. Une étude de dimension mondiale réalisée en 2005 |1| révèle que près de 40% des personnes interrogées estiment que, dans une telle situation, les hommes ont plus le droit à l’emploi que les femmes. Or ce dernier est un droit constitutionnel dans de nombreux pays européens à commencer par la Belgique.

Enfin, les travailleuses migrantes employées comme domestiques et/ou auxiliaires maternelles subissent de plein fouet la baisse du pouvoir d’achat de leurs ‘employeuses’. Comme celles-ci ont de moins en moins les moyens de s’adjoindre leurs services, elles sont contraintes de les licencier. Bien que l’emploi des travailleuses migrantes n’est pas pour l’extrême majorité des cas synonyme de travail décent et accentue les différences entre les femmes, l’immigration économique de ces femmes leur permet de suppléer à la pauvreté qui ravage leur famille dans leur pays d’origine.

Pour conclure, notons qu’alors que les effets de la crise de la dette sur l’emploi des femmes sont catastrophiques, ils ont toutes les chances d’être sous-évalués. La réalité est bien pire que ce que ne laissent transparaître les rapports officiels. De fait, les personnes travaillant à temps partiel sont exclues des chiffres du chômage. En Europe, en 2007, 31,2% |2| des femmes travaillent à temps partiel (c’est quatre fois plus que les hommes). Affirmons-le sans ambiguïté : le passage des femmes à un emploi à temps partiel est rarement le résultat d’un choix personnel et constitue l’une des conséquences directes de la crise…

Quelques exemples du chômage féminin en Europe consécutif à la crise de la dette :

– En République Tchèque |3|, le chômage touche surtout les mères à leur retour de congé de maternité, les mères avec de jeunes enfants en général, les femmes de plus de 50 ans et les femmes migrantes tandis que dans une ville du Nord du Portugal, sur 17.000 habitants, 6.000 femmes sont sans-emploi |4| !

– En Pologne, l’industrie textile essentiellement féminine s’est retrouvée en détresse lorsque les segments principaux qu’elle approvisionnait en Europe de l’Ouest se sont effondrés : 40.000 emplois ont été perdus |5|.

2. Les salaires et retraites des travailleuses sont réduits

L’une des principales variables d’ajustement consiste à réduire salaire et temps de travail des travailleurs/euses du secteur public composé majoritairement de femmes.

Les salaires sont gelés |6| ou réduits (en Estonie, entre 2008 et 2010, les salaires de la fonction publique ont été diminués de 15% |7|), les retraites sont diminuées (en Irlande, une taxe de 7,5% est imposée sur les retraites |8|), les avantages professionnels tels que des primes ou des versements complémentaires comme le 13ème ou le 14ème mois sont sapés, de nombreux postes à temps complet sont convertis en temps partiel, le recours au congé sans solde se généralise (en Roumanie, les salarié-e-s ont été contraint-e-s de prendre deux semaines de congés sans solde en 2009 |9|),…

En Belgique, les femmes travaillant comme aides familiales ou dans le nettoyage des bureaux autant du privé que du public, alors qu’elles travaillent déjà bien souvent à temps partiel, ont vu leur temps de travail encore diminuer |10|.

Ces pertes de salaire obligent bien souvent les femmes à cumuler des emplois ou à alterner, comme en Angleterre, leur temps de travail avec celui de leur conjoint : alors que l’un-e travaille de jour, l’autre travaille de nuit pour éviter de devoir allouer une partie de leurs revenus à la garde de leurs enfants…

L’actuelle précarité des femmes retraitées est encore accentuée. Toujours plus de femmes vivront l’enfer d’une vieillesse démunie alors qu’elles auront travaillé toute leur vie. Non seulement le montant des pensions diminue mais l’âge de la retraite pour les femmes sera retardé, comme en Autriche où en 2014, les femmes, au lieu d’arrêter de travailler à 57 ans devront attendre leur 60 ans, tandis qu’en Italie elles devront continuer à trimer jusqu’à leur 65 ans à partir du 1er janvier 2012 |11| !

Notons qu’en France, notamment à cause de la généralisation du travail partiel (or, qui dit travail partiel, dit retraite partielle !), les retraites féminines sont 40% inférieures à celles des hommes tandis qu’en Pologne, les femmes perçoivent une retraite moins élevée que le salaire minimum déjà extrêmement faible.

Diminution des salaires et des retraites amplifie l’écart salarial entre les femmes et les hommes. Actuellement, à travail et responsabilités égaux, les femmes européennes gagnent en moyenne 18% de moins que leurs collègues masculins. Dans certains pays comme en Estonie, l’écart salarial atteint 30% |12|. En Belgique, il est actuellement de 21% |13|.

3. La crise de la dette accentue le phénomène de précarisation de l’emploi féminin en Europe

La baisse des revenus du ménage générée par la récession pousse les gens des classes populaires à accepter des emplois qui se situent largement en deçà de leurs qualifications professionnelles et/ou de leur niveau d’étude le plus souvent assortis d’un niveau de pénibilité s’accroissant (travail à pause, de nuit, coupé, avec déplacements non pris en compte – cf. secteur des titres services). Ce phénomène est particulièrement vrai pour les femmes (et plus spécifiquement encore pour les mères) qui ont plus de difficultés que les hommes à accepter des emplois qui ne leur permettent pas de concilier vie professionnelle et responsabilités familiales (ex. travail éloigné de leur domicile, difficilement accessible et/ou dont les horaires ne sont pas compatibles avec ceux des structures scolaires et parascolaires).

Ainsi encore plus aujourd’hui qu’hier, les femmes sont majoritaires dans les emplois précaires (cf. les temps partiels, les contrats à durée déterminée – CDD-, le travail intérimaire ou encore informel) |14|. Non seulement ce sont précisément ces emplois-là qui sont les premiers supprimés en cas de licenciement mais en plus, ils ne permettent pas ou peu aux travailleuses d’accéder à la protection qu’offrent la législation du travail et la sécurité sociale. Bien souvent, les travailleuses précaires sont privées des conditions relatives à la protection durant la grossesse ou au congé de maternité ainsi qu’aux autres formes majeures de protection sociale.

La dégradation des conditions de travail des femmes accentue cette précarisation de l’emploi féminin. Des pressions sur les conditions de travail ou des conditions de travail bradées, une intensification de la charge de travail (tentative de suppression ou de diminution des temps de pause, réductions des effectifs, …), une flexibilisation accrue des horaires qui intensifie la crainte et le stress dus à la difficulté de prévoir son emploi du temps, de pouvoir concilier vie professionnelle et vie privée, une exigence de polyvalence non accompagnée d’une quelconque formation…Tout cela mène à un véritable épuisement au travail qui n’est pas sans conséquence pour la santé des femmes.

Dans l’Europe toute entière, la crise de la dette est bel et bien synonyme de précarisation financière, physique et psychologique du travail des femmes, d’augmentation de leur pauvreté (cf. un nombre grandissant de travailleuses ont les revenus inférieurs au seuil de pauvreté) et de perte d’autonomie financière, élément fondamental de toute réelle émancipation des femmes.

II. La casse de la protection sociale

Une grande partie des économies imposées au secteur public au nom de la dette provient de coupes pratiquées dans les prestations sociales. Or les dépenses comme les recettes de l’Etat sont genrées : si les hommes, en raison de leur salaire plus élevé, ont tendance à être les principaux contributeurs des recettes fiscales de l’Etat, les femmes ont, quant à elles, tendance à être les principales « bénéficiaires » des dépenses publiques par le biais de services sociaux également genrés : la garde d’enfants, la prise en charge des personnes dépendantes, la gestion publique du logement, l’éducation, la santé, …

Par conséquent, des réductions dans les ressources publiques destinées à assurer une protection sociale sont beaucoup plus susceptibles d’influer directement sur les femmes.

Ce constat est particulièrement criant dans deux domaines :

1. Les mesures d’austérité enrayent les politiques familiales des Etats

La réduction ou carrément la suppression de certaines allocations sociales affectent spécifiquement les femmes et plus particulièrement les mères et parmi elles, les mères « chef de famille ».

Voici, à titre d’illustration, quelques mesures qui partout en Europe entravent tout processus favorisant l’égalité des sexes :

– Le gouvernement roumain a réduit les allocations familiales et celles du congé de maternité ainsi que les allocations pour les familles monoparentales (plus de 90% de ces familles sont composées d’une femme seule et de ses enfants) et les prestations d’aide aux personnes handicapées |15| ;

– En République tchèque, les prestations sociales versées aux familles à faible revenus (et donc souvent monoparentales) ont été supprimées, le montant des allocations du congé parental a été diminué et ses conditions d’accès ont été rendues plus rigoureuses. Ont également été réduites les allocations de naissance ainsi que celles attribuées pour des soins à domicile |16| ;

– En Angleterre, la subvention de bonne santé pendant la grossesse, les allocations familiales, les crédits d’impôts liés à la naissance d’un enfant ont tous été restreints ou gelés. D’autres réductions de prestations sociales, comme celles des aides au logement, touchent les femmes de façon disproportionnée. De fait, davantage de femmes que d’hommes dépendent de ces indemnités. Une étude commandée par le syndicat anglais TUC relève que suite à toutes ces mesures, les mères célibataires perdront pas moins de 18% de leurs revenus nets |17|.

De plus, alors que les femmes sont souvent désavantagées en termes d’accès et de niveau des allocations de chômage (en Allemagne, en 2010, sur les 47% de femmes qui sont chômeuses seulement 28% touchent des allocations de chômage |18|) |19|, les politiques d’austérité prévoient encore de les diminuer.

Certains pays ont rendu leurs critères d’éligibilité aux allocations sociales encore plus stricts, tandis que d’autres comme l’Irlande diminuent leur montant (de 4% |20|) ou encore écourtent la durée d’indemnisation (cf. Le Danemark a réduit de moitié – de 4 à 2 ans – la durée des allocations de chômage |21|). En Belgique, la note du formateur gouvernemental Elio Di Rupo prévoit une dégressivité accrue du chômage, la fin de l’indemnité à vie et le durcissement de la Politique d’Accompagnement des Chômeurs |22|.

Tous ces exemples montrent combien les mesures d’austérité résultant du « système dette » sont contraires à toute visée émancipatrice des femmes : non seulement elles sapent leur autonomie financière ainsi que toute possibilité de mieux pouvoir concilier leurs différents temps de vie – via, entre autres, le recours à des services publics – mais de plus, elles ambitionnent de leur faire porter majoritairement le prix de la crise.

2. Les politiques d’austérité minent les programmes instaurant l’égalité des genres

Les politiques d’égalité des genres

Alors que les mesures de promotion de l’égalité des sexes ne doivent pas être un « luxe » réservé uniquement aux périodes de croissance économique, on constate très clairement que la crise de la dette entraîne une diminution autant de l’attention des politiques que des financements pour les mécanismes d’égalité des genres ainsi que pour la mise en pratique des lois en la matière. En Espagne, le Ministère pour l’égalité a été purement et simplement supprimé tandis qu’en Italie, le budget des politiques familiales a été diminué de 70% |23|. Or, l’importance de l’existence de telles politiques est particulièrement criante en période de récession.

A cause des mesures d’austérité, les services de soins pour les enfants et personnes à charge deviennent de moins en moins abordables, adéquats, accessibles et leur qualité se dégrade. Or, de bons services de soins sont la garantie pour les femmes d’un meilleur équilibre entre temps de vie professionnelle et privée, entre travail productif et reproductif, ils facilitent leur participation au marché de l’emploi et stimulent l’égalité des sexes.

En outre, des services publics de qualité jouent un rôle positif dans le développement des enfants.

Si, en Bulgarie, le nombre de structures d’accueil et de protection des enfants a été réduit, en Estonie, leurs heures d’ouverture sont coupées, empêchant les femmes de les concilier avec leurs horaires de travail tandis qu’en Irlande, le prix des places par enfant a été augmenté. A Dublin, il oscille entre 800 à 1000€ par mois !!! |24|

Ce déclin des services de soins a déjà obligé nombre de femmes européennes soit à diminuer leurs heures de travail rémunérées et dès lors, à basculer dans le travail partiel, soit à carrément abandonner le marché de l’emploi. Ainsi en Europe, le taux d’emploi des femmes chute de 12,4% lorsqu’elles ont des enfants (chiffres de 2009 – à l’heure actuelle, la situation doit être encore bien pire) |25|.

On constate à quel point les mesures d’austérité mettent en danger les acquis des combats féministes et renforcent les stéréotypes existants de l’homme gagne-pain et de la femme au foyer.

Le secteur associatif

Les associations de promotion des femmes telles que les plannings familiaux, les maisons d’accueil pour femmes battues, violées et mal traitées, les lignes d’écoute et d’aide téléphonique pour femmes en situation de crise, les refuges pour femmes et enfants… sont-elles aussi directement dans l’œil du cyclone des coupes budgétaires imposées au nom de la dette.

Partout en Europe, alors qu’elles ont contribué à des changements significatifs en faveur des femmes et indirectement au bien-être général, ces associations doivent faire face à une diminution de leurs subventions autant publiques que privées. En effet, sous l’effet de la récession économique, les donateurs privés cotisent de moins en moins pour les secteurs de la solidarité.

Ainsi, bien que la crise soit synonyme d’une féminisation de la pauvreté et d’une accentuation de leur précarité tant financière que psychologique et physique (les chiffres attestent que les violences domestiques augmentent avec la crise), les associations de femmes – qui pouvaient leur offrir soutien et perspectives – deviennent de moins en moins accessibles et devront réduire la quantité et la qualité des services qu’elles pouvaient fournir aux femmes.

Le reste du secteur socio-culturel est également sous la coupe des mesures d’austérité. Or, parce qu’il travaille en priorité avec les populations paupérisées, il apporte une aide et un soutien en priorité aux femmes. Pas de mystère : si on diminue l’aide alimentaire, l’hébergement d’urgence, les ateliers d’éducation permanente, les actions culturelles, ce sont les femmes les premières privées de ces apports.

En conclusion, on peut sans crainte affirmer que la dette détériore en spirale toute politique et processus menant à l’émancipation des femmes en Europe.

III. La destruction des services publics

Elle touche en premier lieu et triplement les femmes. Pourquoi ?

– Etant majoritaires dans la fonction publique |26|, les femmes sont les premières victimes des politiques de licenciements massifs imposées par les Plans d’austérité. L’Angleterre prévoit de supprimer 500.000 emplois d’ici 2015, la Roumanie en a déjà détruit 100.000 en 2010 et la France compte bien en éliminer 31.000 pour cette année |27| ;

– Les femmes sont également les premières bénéficiaires des services publics dont l’existence est cruciale pour leur participation au marché du travail et leur autonomie économique. De fait, des équipements collectifs de qualité, en nombre suffisant et accessibles financièrement sont des leviers incontournables de leur émancipation ;

– Enfin, ce sont elles qui devront, via une augmentation de leur travail non rémunéré et invisible, assurer les tâches de soins et d’éducation délaissées par la fonction publique. On assiste ainsi à une véritable substitution des rôles et des responsabilités de l’Etat vers le privé et donc vers les femmes, les empêchant de participer pleinement à toutes les sphères de la vie. Au nom de la dette publique, une translation a ainsi lieu : du concept d’ « Etat social » on passe à celui de « Mère sociale ». Et ce gratuitement pour réduire les dépenses et rembourser les banquiers : elle n’est pas belle, la crise ?!

Coupes dans le système de santé

Les attaques contre les systèmes de santé en Europe constituent un élément structurant des politiques d’austérité. Les femmes sont les premières concernées par ces restrictions budgétaires et ce pour trois raisons :

– Comme on l’a vu, les femmes composent l’essentiel de la main d’œuvre du secteur de la santé et sont ainsi disproportionnellement concernées par les pertes d’emplois qui y sont pratiquées. Là aussi, elles occupent les postes les moins bien rémunérés et valorisés : on assiste à une précarisation des contrats et des conditions de travail (ex. on n’engage plus d’aides-soignantes à temps-plein sous contrat à durée indéterminée mais bien pour des périodes courtes et à temps partiel)

– Alors que la santé sexuelle et reproductive des femmes leur permet d’exercer un contrôle sur leurs propres corps et dès lors, sur leur vie, les mesures d’austérité prévoient d’en diminuer les financements. Or ce secteur spécifique de la santé publique est tout à fait fondamental pour la promotion effective de l’égalité des sexes. Moins de subsides publics sont attribués à la prévention du VIH, aux IVG, aux plannings familiaux, aux services de santé pré et post-nataux et aux soins de santé préventif des femmes ;

– Les fermetures de centres de santé – à l’instar de ce qui s’est produit en Bulgarie : depuis septembre 2009, 21 hôpitaux ont été fermés essentiellement dans les petites villes et villages |28| – augmentent la part de travail « CARE » (travail de soins/reproductif) des femmes.

Coupes dans l’éducation

Les restrictions budgétaires pratiquées dans le domaine de l’éducation impactent prioritairement les femmes puisqu’en tant que travailleuses prééminentes dans ce secteur, elles sont, comme dans le domaine de la santé, les premières touchées par des pertes d’emplois (en Bulgarie pas moins de 50 écoles ont été fermées, en Lettonie et en Grèce ce phénomène s’étend également) et leurs conditions de travail se dégradent (le nombre d’élèves par professeur a déjà augmenté en Estonie) |29|.

En France, on ferme les écoles maternelles publiques et gratuites pour les enfants à partir de 2 ans au profit de « jardins d’éveil » privés et payants, ce qui entraîne des pertes d’emplois dans le secteur public et augmente le prix à payer pour la prise en charge des enfants.

D’autres mesures d’austérité telles la réduction des allocations pour l’achat de livres et de matériel scolaires (cf. Estonie) ou encore la diminution des subsides pour les repas à l’école maternelle et primaire (réduction de 2/3 en Hongrie) augmentent les frais liés à l’éducation des enfants généralement pris en charge par les mères |30|.

La privatisation des services sociaux à la personne

Elle est accentuée par les politiques d’austérité. Les carences dans ces services sont compensées par chaque femme individuellement mais aussi et surtout par les femmes migrantes et sans-papières. Ces femmes, souvent non déclarées et donc sans accès à une protection et aux avantages sociaux et professionnels, sont fortement exposées à des conditions de travail proches de celles du travail forcé ainsi qu’aux violences sexistes et/ou racistes.

IV. Remise en cause du droit du travail

Les politiques d’austérité que veulent imposer les gouvernements avec l’appui du FMI et des Institutions européennes visent une forte déréglementation du marché du travail synonyme d’un démantèlement de la législation du travail, d’une désagrégation du droit syndical…Progressivement, le travail précaire des femmes constitue plus la norme que l’exception. Au titre du remboursement de la dette publique partout en Europe, les femmes travaillent plus pour gagner moins.

Travail flexible, précaire et informel

Certains employeurs, confrontés à une baisse de profits résultant de la récession, sont tentés de prendre comme prétexte la crise pour exploiter encore davantage les femmes. A cause de leur position plus faible sur le marché du travail et, dès lors, d’un pouvoir de négociation amoindri, les femmes acceptent plus « facilement » que les hommes des conditions de travail précaires, avec un salaire diminué et sans sécurité sociale. Afin de ne pas engager du nouveau personnel, les directions flexibilisent les horaires de travail des femmes et ne reconduisent pas leurs contrats à durée déterminée. Pour minimiser les charges sociales, éviter le paiement d’impôts et d’autres coûts associés au travail formel, certains employeurs n’hésitent pas à inciter le travail informel des femmes.

Augmentation des procédures illégales contre les femmes

Afin d’ « épargner » de l’argent, certains employeurs restreignent les politiques et initiatives favorables aux femmes ou adoptent carrément des pratiques illégales comme le licenciement des femmes enceintes. Le fait que l’égalité entre les sexes n’apparaisse plus comme une priorité pour les gouvernements accentue bien entendu cette tendance.

Bien que les femmes soient depuis toujours confrontées au risque de perdre leur emploi lorsqu’elles sont enceintes ou après un congé de maternité, ce risque est bien plus élevé en période de récession. Ainsi en Angleterre, la Commission pour l’Egalité des Chances reconnaît qu’alors que le nombre de licenciements de femmes enceintes est de 30.000 par an (2009), ce phénomène va encore s’accentuer avec la crise de la dette |31|.

Cette conséquence choquante des plans d’austérité n’est pas seulement immorale et profondément antinomique à l’égalité des genres sur les lieux de travail, elle est aussi illégale.

V. Augmentation de la fiscalité sur la consommation – la TVA

Les mesures d’austérité pressurisent non pas les riches et les entreprises mais bien les classes populaires. L’augmentation de la TVA sur les biens de consommation courante (nourriture, biens et services) illustre parfaitement cette réalité. Elle désavantage particulièrement les femmes qui assurent les besoins de base et la nourriture de la famille et crée une pauvreté grandissante dans les ménages. En Angleterre, la TVA passera de 17,5 à 20% |32| !

Usure généralisée des femmes

Non seulement les plans d’austérité ne régleront en rien les causes réelles de la crise mais ils plongent des millions d’êtres humains dans la misère et la précarité. Et les femmes sont bien aux premières loges, minées par l’impact psychologique d’une pauvreté s’amplifiant, l’usure engendrée par trop de labeur et le stress induit par l’obligation d’assumer de multiples rôles.

Comme on l’a vu, la dette et les plans d’austérité ne sont nullement neutres du point de vue du genre. Bien au contraire, ils sont la cause d’une féminisation de la pauvreté, d’une précarisation de l’emploi féminin, d’une augmentation considérable de la charge de travail gratuit fourni par les femmes pour amortir leurs effets dévastateurs et de plus, ils détruisent les acquis féministes … Or, alors qu’elles en supportent les pires conséquences, les femmes n’ont à payer aucune dette de quelque nature soit-elle. Ce sont elles les véritables créancières au niveau national et international. Elles sont titulaires d’une énorme dette sociale. Sans leur travail gratuit de production, de reproduction et de soins aux personnes, nos sociétés péricliteraient tout simplement !

Les alternatives féministes à la dette

L’ensemble des régressions sociales imposées aux femmes au nom du « système dette » démontre combien tout véritable processus émancipatoire implique de lutter contre cette dette qui de concert avec le patriarcat asservit les femmes et les empêche de jouir de leurs droits les plus fondamentaux.

Partout dans le monde, les mouvements féministes travaillent à renforcer leurs convergences. Début 2011, a été créée, en Grèce, l’Initiative « Femmes en mouvement contre la dette et les mesures d’austérité » |33|. Ce réseau en construction espère pouvoir contribuer à la création en Europe d’un espace politique de réflexion et d’actions coordonnées des femmes contre le « système dette » et pour l’élaboration d’alternatives féministes aux logiques humainement mortifères du capitalisme financier. Elle entend être partie prenante en tant qu’initiative féministe au processus européen en marche contre la dette et les mesures d’austérité et intervient dans les diverses rencontres et mobilisations ayant la dette comme point focal (cf. Conférences européennes contre la dette et l’austérité à Athènes les 6 et 7 avril 2011 |34|, à Bruxelles le 31 mai au Parlement européen |35| et à Londres le 1er octobre 2011 |36|…). L’Initiative compte ainsi parvenir à impulser une campagne féministe européenne qui contribuera à faire s’écrouler le « système dette », ennemi de toute réelle émancipation des femmes et de l’ensemble des peuples en Europe. Partout où des processus d’audit de la dette se mettent en œuvre (cf. France, Irlande, Grèce, Portugal, Espagne), l’Initiative « Femmes en mouvement contre la dette et les mesures d’austérité » a comme objectif d’outiller le mouvement féministe pour qu’il puisse les soutenir et y participer activement. Elle témoigne ainsi de la détermination des féministes à se battre contre une dette exclusivement à la solde d’intérêts financiers et à contribuer à l’élaboration d’un nouveau mode de production et de distribution des richesses affranchi du capitalisme et du patriarcat.

notes articles:

|1| European Women’s Lobby, « Women, the Financial and Economic Crisis – the Urgency of a Gender Perspective”, September 2009, http://www.womenlobby.org/spip.php?…

|2| Ibid.

|3| Oxfam International/ European Women’s Lobby, “Women’s poverty and social exclusion in the European Union at a time of recession – An Invisible Crisis ?”, March 2010, p.15, http://www.oxfam.org.uk/resources/p…

|4| Trades Union Congress, « Bearing the brunt, leading the response – Women and the global economic crisis”, March 2011, London, p.7, http://www.tuc.org.uk/extras/TUC_Gl…

|5| Ewa Charkiewicz, « L’impact de la crise financière sur les femmes d’Europe Centrale et de l’Est », Awid, mars 2010, p. 8-9, http://www.awid.org/fre/Library/L-i…

|6| Sous la pression de la crise de la dette, partout en Europe, l’indexation automatique des salaires, qui bénéficie surtout aux petits revenus et donc majoritairement aux femmes, est remise en cause.

|7| Confédération européenne des syndicats – CES, « Enquête du 8 mars 2011 – Section III. L’impact de la crise économique sur l’emploi féminin », mars 2001, p. 18, http://www.etuc.org/IMG/pdf/8_March…

|8| Ibid

|9| Confédération européenne des syndicats – CES, Op. Cit, p. 19.

|10| Confédération des syndicats chrétiens – CSC, « Femmes Vs Crise », p. 3-5, http://www.world-psi.org/TemplateEN…

|11| D. Millet, E. Toussaint (ss la dir.), « La dette ou la vie », CADTM/Ed. Aden, juin 2011, Bruxelles, p.343-358.

|12| European Women’s Lobby, « Women, the Financial and Economic Crisis – the Urgency of a Gender Perspective”, Op.Cit.

|13| Confédération des syndicats chrétiens – CSC, « Femmes Vs Crise », Op. Cit, p. 17.

|14| En Europe occidentale, entre un quart et un tiers de la main-d’œuvre travaille actuellement dans le cadre de contacts provisoires et/ou à temps partiels, en particulier au Royaume-Uni, en Hollande, en Espagne et en Italie. W. Harcourt, « L’impact de la crise financière sur les femmes d’Europe occidentale », Awid, mars 2010, p. 8-9.

|15| Confédération européenne des syndicats – CES, Op. Cit., p. 12

|16| Ibid

|17| Op. Cit., p. 13

|18| M. Jespen, European Trade Union Institute (ETUI), « Aspects contemporains de la crise au féminin », intervention durant le Séminaire Le nerf de la guerre…des sexes. Rapports sociaux et argent organisé par L’Université des femmes, Bruxelles, 16 décembre 2010.

|19| Les systèmes de protection sociale continuent d’être construits sur le concept d’une carrière ininterrompue au cours d’une vie professionnelle allant de 40 à 45 ans, ce qui correspond rarement au cycle de la vie professionnelle des femmes.

|20| Oxfam International/ European Women’s Lobby, Op. Cit., p. 31

|21| M. Jespen, Op. Cit.

|22| Collectif Solidarité contre l’Exclusion, « Un gouvernement anti-chômeur », n°72 du trimestriel Ensemble pour la solidarité, contre l’exclusion, oct. 2011, p. 18-47 et carte blanche publiée dans Le Soir du 26 octobre 2011, « Saigner les chômeurs pour soigner les banquiers ? Inacceptable ! », http://www.netevents.be/ExternalLin…

|23| D. Millet, E. Toussaint (ss la dir.), Op. Cit., , p.343-358.

|24| Oxfam International/ European Women’s Lobby, Op. Cit., p 25

|25| W. Harcourt, Op. Cit., p 10.

|26| En Europe, les femmes représentent 78% de la force de travail des services sociaux et de santé et 60% des enseignant-e-s des secteurs primaires et secondaires. Voir Oxfam International/ European Women’s Lobby, Op. Cit., p 24-25

|27| D. Millet, E. Toussaint (ss la dir.), Op. Cit., p.343-358.

|28| Oxfam International/ European Women’s Lobby, Op. Cit., p. 25

|29| Ibid

|30| Oxfam International/ European Women’s Lobby, Op. Cit., p. 6.

|31| H. Philomena, « Les femmes et la crise de la civilisation », juillet 2009, http://www.europe-solidaire.org/spi…

|32| J. Leschke and M. Jespen, “The economic crisis – Challenge or opportunity for gender equality in social policy outcomes. A comparison of Denmark, Germany and UK”, ETUI, Brussel, April 2011, p. 53.

|33| M. Karbowska, S. Mitralias, C. Vanden Daelen, « Femmes en Mouvement. Vers une Initiative pour la construction d’un réseau féministe contre la dette et les mesures d’austérité en Europe », mars 2011, Inédit.

|34| S. Mitralias, « Une expérience pionnière en Grèce : l’Initiative des Femmes contre la Dette et les Mesures d’Austérité », 31 mai 2011, http://www.cadtm.org/Une-experience…

|35| Ewa Charkiewicz, “Austerity, debt and social destruction in Europe”, intervention réalisée lors de la Conférence – Stop à la dette, à l’austérité et au démantèlement social : coordonnons nos luttes ! – du 31 mai 2011 au Parlement européen, http://www.ekologiasztuka.pl/pdf/EC…

|36| Discours de Sonia Mitralias à la Conférence de Londres contre l’austérité organisée par Coalition of Resistance (1er octobre 2011), 10 octobre 2011, http://www.cadtm.org/Discours-de-So…

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