Quelles stratégies face aux pièges, aux menaces et aux violences des intégrismes religieux ?

Quelles stratégies face aux pièges, aux menaces et aux violences des intégrismes religieux ?

Mouvements féministes : des luttes à poursuivre …

Quelles stratégies face aux pièges, aux menaces et aux violences des intégrismes religieux ?

Dans le cadre de la mondialisation, de l’essor du néo-libéralisme et de la crise du modèle laïque se sont développés des mouvements religieux et politico-religieux qui ont une capacité particulière à pointer les dysfonctionnements de la société dont ils font une interprétation toute particulière, à leur profit, et au détriment de la liberté des femmes et de l’égalité entre les sexes. C’est contre ces multiples offensives que le mouvement féministe a dû faire front.

Le cardinal Ratzinger, l’actuel pape, a été et est encore un des principaux artisans d’un catholicisme fort soucieux de reconquérir un statut de droit public. « Quand l’église elle-même devient Etat, la liberté se perd. Mais, il est également vrai que la liberté se perd quand l’Eglise est supprimée comme identité publique, jouissant d’une influence publique », écrivait-il en 1987. Et voici enfoncé un coin dans le principe de laïcité.

1995, en France, c’est le retour de la droite : indulgence du pouvoir à l’égard des commandos anti-IVG, influence politique de l’Opus Dei sur les lobbies familialistes. Le 25 novembre de la même année vient alors marquer un tournant : une manifestation unitaire est organisée pour le droit à l’avortement « Contre la remontée de l’ordre moral ». Initiée par la CADAC (Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception), elle rencontre un franc succès : 40 000 personnes dans les rues de tout âge et avec la participation d’organisations très diverses …

Les luttes féministes continueront car les offensives contre le droit à l’avortement savent dissimuler leurs visées politiques et leur aspect guerrier pour prendre des aspects plus insidieux (remise en cause du statut de l’embryon par exemple). Dans ce domaine, les mobilisations sont restées essentiellement franco-françaises, même si sont apparus de façon sporadique des soutiens aux femmes portugaises ou plus récemment aux polonaises. Les convergences entre les mouvements féministes européens restent à construire.

En revanche, les engagements féministes ont pris une dimension internationale face à la montée de l’islamisme sur fond de retour du religieux. Les causes du développement des intégrismes islamistes – très divers dans leurs stratégies et dans leurs manifestations – sont connues : difficultés économiques et sociales, faillites des politiques des gouvernements dont certains s’appuient sur des religieux très conservateurs pour contrer les courants politico-religieux radicaux, soutiens des pays occidentaux à ces mêmes gouvernements en fonction de leurs intérêts … Or, il existe un autre facteur, non moins important, qui explique la séduction de l’islamisme : se voyant ou se croyant dépossédés de leurs privilèges traditionnels par les mutations de leur société, par les tensions entre la tradition et la modernité, des hommes savent s’appuyer sur des arguments « sacrés » en faveur de la supériorité masculine. Il s’agit là d’une double réappropriation : celle de la religion et celle des femmes. C’est dans ce contexte que se sont développées les solidarités féministes avec des associations de femmes algériennes, puis à partir de 1996 – prise de Kaboul par les talibans – avec les femmes afghanes, un pic étant atteint en 2001 avec les manifestations du 8 mars et du 29 septembre pour les droits des femmes et la démocratie. Ensuite, les mouvements de soutien faiblissent alors que la situation des femmes reste préoccupante (voir le rapport d’Amnesty International de 2003 et les témoignages de trente députées afghanes à Paris en 2006). Alors que les mobilisations de solidarité ont été fortes avec les Algériennes, elles sont plus sporadiques avec les Iraniennes en fonction de l’actualité et des liens qui s’établissent entre les associations en France et en Iran.

Les pouvoirs politico-religieux, quelles que soient leurs origines et leurs divergences, savent former une sainte alliance contre les droits humains des femmes. Cette stratégie était déjà manifeste en 1994 lors de la Conférence internationale sur la Population et le Développement au Caire. Le Saint Siège qui a le privilège du droit de vote à l’O.N.U., faisant bloc avec des pays islamiques tels que l’Iran et la Libye, a contesté le projet de déclaration finale au prétexte qu’il faisait l’apologie de l’avortement et des unions homosexuelles. En 1995, lors de la 4ème Conférence mondiale sur les Femmes à Pékin, le front de la sainte alliance s’amplifie et redouble de violence dans ses attaques. Face à ces menaces, la résistance internationale d’associations féministes s’organise, notamment avec des O.N.G. de femmes algériennes et de femmes iraniennes contre la lapidation, des réseaux se constituent.

Même si l’ampleur des attaques a pu surprendre, les positions des adversaires des droits des femmes étaient clairement identifiées de longue date. Or, voici que les choses se brouillent au niveau européen. Au nom de l’antiracisme, du droit à la différence, de la liberté d’expression et face à des discriminations bien réelles subies par des Européennes et des Européens d’origine immigrée, d’étranges alliances se nouent entre, d’une part, des mouvements considérés comme progressistes (des défenseurs des droits humains, des antiracistes, des altermondialistes …) et, d’autre part, des groupes islamiques, voire islamistes dont la représentativité reste à prouver. C’est ce que le chercheur Gilles Képel appelle « le mariage de la carpe laïque et du lapin islamiste ». A cet égard, le Forum Social Européen de Londres, en 2004, a présenté une image caricaturale de la question, sous la pression de groupes dont les méthodes et les objectifs sont aux antipodes de ceux de la Charte de Porto Alegre en matière de liberté, de démocratie, d’égalité entre les femmes et les hommes. C’est ainsi que ce sont imposés des débats organisés par des associations plus ou moins proches des islamistes autour de leurs thèmes de prédilection (1). De tels coups de force se reproduisent au 4ème Forum Social Européen à Athènes en 2006. A cette occasion, des associations féministes ont rendu publique une déclaration pour condamner « des alliances qui sont conclues au détriment des droits et qui consistent à hiérarchiser les combats en mettant au second plan les revendications féministes. »

Avant que ne soit écrite une histoire des luttes féministes contre les intégrismes religieux, il nous est apparu nécessaire d’en établir une chronologie. Cette présentation, qui ne hiérarchise pas les différentes mobilisations, permet aussi d’assurer une forme de continuité dans le discontinu. En effet, s’il apparait avec force dans l’espace public à des moments précis de l’histoire, le mouvement féministe n’en continue pas moins son cheminement avec ses pauses, ses îlots d’immobilité, mais aussi ses sursauts, ses résurgences.

Faire le bilan de ces luttes s’avère délicat.

Pour nous, féministes, une étape caractérisée par la conquête de nos droits à l’égalité s’achève. Même si ces acquis sont fragiles, ils existent, ils sont reconnus dans les textes internationaux.

Dans la période actuelle, nos luttes révèlent l’impérieuse nécessité de conjuguer, plus que jamais, liberté et égalité, ce qui nous oblige à définir des stratégies et à inventer de nouvelles formes de luttes. Or, ce que refusent les intégrismes religieux, c’est avant tout la liberté pour les femmes. Ils dissimulent cette position en tentant de nous enfermer dans des notions comme le « relativisme culturel » et « l’impérialisme culturel » qui camouflent leur véritable enjeu, celui du refus de la liberté pour les femmes. Il nous faut donc échapper à cette emprise qui nous enfermerait dans des batailles juridiques perdues d’avance puisque les notions d’égalité ne recouvrent pas les mêmes réalités selon les Etats et selon la période. Pour sortir de ce « marécage », malgré et à cause de la complexité de la situation, il nous faut redoubler de vigilance et garder toujours présent à l’esprit cet objectif : déraciner le présent pour faire vivre l’utopie des valeurs du féminisme dans sa dimension politique.

Paris, octobre 2010.

Monique DENTAL – Marie-Josée SALMON

(1) Le Réseau Féministe « Ruptures » a publié, le 15 mars 2005, un supplément à son bulletin d’information mensuel de liaisons et d’échanges intitulé « 3ème Forum Social Européen, Londres 2004 : encore loin du processus de Porto Alegre ».

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