Edito Mai 2010

Edito Mai 2010

Dix jours pour bondir par-delà les frontières, c’est possible grâce au Festival International de Films de Femmes de Créteil. Cette année, il nous a présenté, hors compétition, une section intitulée Trans-Europe-Afrique. Cette riche programmation d’œuvres de réalisatrices européennes et africaines nous invite à un voyage dans de nombreux pays d’Afrique. Alors que le cinéma de fiction est en crise dans ce continent, de nombreuses réalisatrices ont commencé à tourner des documentaires.

Dans l’impossibilité de recenser tous les thèmes abordés, nous en retiendrons deux qui semblent émerger. Il s’agit tout d’abord d’un regard sur un passé parfois oublié, parfois caché, et à propos duquel l’histoire et la mémoire peuvent entrer en conflit. « Mozambique. Journal d’une indépendance » pourrait s’intituler naissance d’une nation. En effet, au lendemain de l’indépendance (1975) le gouvernement a créé un institut du cinéma chargé de construire l’image de la jeune république socialiste. On filmait tout, avec tous les moyens du bord, on faisait appel à des cinéastes étrangers. De ce joyeux début, que reste-t-il ? La caméra de Margarida Cardoso dévoile des piles de bobines abandonnées à la Cinémathèque à demi dévastée par un incendie. Puis des images d’archives, des témoignages mi-amusés, mi-nostalgiques font surgir des fragments du passé, des moments d’enthousiasme. Mais le rêve est évanoui, il a maintenant la couleur de la poussière … Au Rwanda, le gouvernement a décidé d’enfouir sous une chape de silence, le génocide des Tutsi et les massacres des Hutus. Comment aborder ce terrible passé récent, comment construire l’avenir ? Des femmes et des hommes discutent, proposent des solutions, tandis qu’un enfant marche seul, désemparé, ignorant son identité : « Je ne sais même pas si je suis Hutu ou Tutsi » (After years of walking de Sarah Vanagt). Pendant les sept années de guerre en République Démocratique du Congo, plus de 80 000 femmes ont été violées. Les réalisatrices Ilse et Femke Van Velzen donnent la parole aux victimes (« Combattre le silence ») qui ont décidé de rendre visible une réalité trop souvent passée sous silence et de la définir : il s’agit de viols systématiques utilisés comme armes de guerre. Leurs témoignages poignants dénoncent directement ou indirectement la culture de l’impunité (les agresseurs sont très rarement inculpés) et l’inefficacité des mécanismes de l’O.N.U. Quelle paix peut-on construire si ces crimes ne sont pas reconnus comme tels ?

Le deuxième thème est porteur d’espoir. En effet, plusieurs documentaristes ont mis l’accent sur le rôle important des femmes africaines dans le développement économique, social et politique. Individuellement ou regroupées en associations, elles effectuent une multitude de déplacements dans les structures traditionnelles, opérant ainsi des ruptures avec le passé et les rapports de domination. La réalisatrice Wanjiru Kinjanjui a capté toute l’énergie de Njaki Ngund’u qui, scandalisée par la multiplication des viols au Kénya, a réussi à faire voter des lois pénalisant toutes les formes de violences sexuelles. Mais, consciente que la législation ne résout pas tout, elle encourage le développement de cours où l’on apprend aux jeunes filles à construire une résistance physique et psychologique aux tentatives de viols. « Elles adorent ces exercices » dit-elle avec un large sourire et, à les voir s’entraîner, personne ne peut en douter. Dans Le cri de la mer Aïcha Tham s’intéresse au combat d’une femme contre l’émigration des jeunes Sénégalais qui risquent leur vie pour gagner l’Europe, tandis que Jane Thadhi Lipman évoque des femmes juges pétillantes d’humour qui, en Afrique du Sud, mettent toute leur énergie à faire évoluer un système judiciaire encore pollué par le sexisme et le racisme. Taking root de Lisa Merton retrace le parcours de la Sénégalaise Wangari Mathai, fondatrice du Mouvement de la Ceinture Verte, qui est parvenue à mobiliser des femmes des zones rurales pour lutter contre la déforestation tout en créant de nouvelles sources de revenus pour les communautés locales.

Ces réalisatrices nous font découvrir un monde très rarement présenté sur nos écrans : attentives aux soubresauts, aux discontinuités de l’histoire, elles nous révèlent aussi des femmes étonnantes qui savent déployer tout le champ des possibles.

Marie-Josée SALMON.

Les commentaires sont clos.