Edito juin 2009

Edito juin 2009

Le Festival International d Films de Femmes de Créteil nous a présenté, outre les films en compétition, une section consacrée aux « frontières invisibles ». Pour franchir les frontières visibles marquées par des postes ou des barbelés, il faut des passeports, preuve comme le disait Brecht, que ce morceau de papier est beaucoup plus important que l’être humain. Quant aux frontières invisibles, elles sont multiples, multiformes et mouvantes.

Parmi les nombreux films, qu’ils soient de fiction ou des documentaires, on peut retenir deux thèmes. Le plus important est celui de la migration. Dans leur documentaire intitulé « Traitrise », Ellen Kuras et Travisouk suivent une famille laotienne sur plus de vingt-cinq ans. Au moment de la guerre du Vietnam, le père prend le parti des Américains mais, à la suite de la prise de pouvoir du Pathet Lao en 1975, la famille se disloque. La mère et une partie de ses enfants franchissent clandestinement la frontière entre le Laos et le Cambodge où ils sont confinés pendant plusieurs années dans des camps avant d’immigrer légalement aux Etats-Unis. Le récit est centré sur la mère qui, au fil des ans, constate la persistance de frontières entre les Américains « de souche » et les immigrés et, d’autre part, entre elle et ses enfants tandis que les filles déplorent leur enfermement à la maison visant à les protéger des dangers extérieurs. Nombreux sont les Mexicains – femmes et hommes – qui entrent clandestinement aux Etats-Unis. C’est le cas de Rosa dont la réalisatrice mexicaine Lucia Gaja retrace le parcours dans son documentaire : « Mi vida dentro ». Accusée d’avoir tué un enfant dont elle avait la garde et qui s’est étouffé en avalant du papier, elle doit faire face à la justice du Texas qui la présente comme une criminelle sadique. « Nous devons défendre nos valeurs » tranche la procureur et le verdict s’abat : quatre-vingt dix-neuf ans de prison. La coupure entre ces deux mondes est rendue plus saisissante encore par le choix de la réalisatrice d’alterner les plans sur la famille restée au Mexique et ceux centrés sur le procès … « Rivière gelée » tel est le titre du beau film de fiction de Courtney Hunt. A la frontière du Canada, deux femmes ont peu de chance de se rencontrer : Ray est Blanche, Lila est indienne mohawk et vit dans une réserve. Cependant, toutes deux se retrouvent seules avec leurs enfants dans une situation précaire. A la suite d’une rencontre liée à un différend, Lila propose à Ray d’unir leurs forces pour échapper à la pauvreté. Il s’agit de faire passer, au péril de leur vie, des immigrés clandestins du Canada aux Etats-Unis en franchissant la rivière gelée qui sépare les deux pays. Ainsi dans ces paysages blancs, dans ce monde coupant comme la glace, se construit une solidarité rugueuse. Mais, elles le savent, la justice ne sera pas la même pour la blanche et pour l’Indienne… La tendance à la fragmentation actuelle de la société américaine forme un contraste net avec les actions de solidarité prônées par les activistes des années 60-70 ainsi qu’en témoigne le documentaire de Yolande de Luart qui suit le parcours d’Angela Davis jusqu’à son arrestation.

Alors qu’il est habituel de distinguer la guerre et la paix, des films remettent en question cette trop rassurante frontière. Plusieurs documentaires montrent les ravages causés par la guerre d’Irak chez les soldats américains revenus du front, leur conscience d’avoir été manipulés, leurs difficultés à se réinsérer dans la société. La guerre après la guerre c’est précisément ce qu’avait dénoncé la grande journaliste Anna Politkovskaïa lorsqu’elle dévoilait « la tchétchénisation de la société russe » c’est-à-dire « sa gangrène morale ». Cette dénonciation trouve un écho dans le long métrage de fiction de la réalisatrice russe Ekatarina Chagalova qui évoque les conséquences dramatiques de la guerre en Tchétchénie pour les jeunes hommes russes, mais surtout pour les femmes victimes de leurs violences.

Tous ces films explorent des zones habituellement délaissées ou passées sous silence par les institutions et apportent un nouvel éclairage sur la complexité du réel.

Marie-Josée SALMON.

(Extrait du Bulletin du Réseau Féministe « Ruptures » n° 305 – juin 2009)

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