Edito mars 2008

Edito mars 2008

Edito

Censé être un rapport d’experts sur « la redéfinition du métier d’enseignant », le rapport Pochard, remis au ministre de l’Education nationale le 4 février, prétend justifier l’absence de revalorisation salariale par le fait que les professeurs ont très souvent des conjoints bénéficiant d’un salaire plus élevé. Ce masculin vise en fait les femmes. Est-ce une coïncidence si le patron de la Fédération de la grande distribution a déclaré, à propos des employé-es récemment en grève : « Naguères, les caissières étaient mariées, leur salaire d’appoint suffisait ; est-ce ma faute si elles ont divorcé ? ».

Qu’il s’agisse du public ou du privé, voici le retour en force de la vieille idée du salaire d’appoint, pour ne pas dire de dépendance. Cela signifie la négation des femmes en tant qu’individue, en tant que citoyenne. Cette idéologie révèle non seulement la persistance du modèle de la famille traditionnelle selon laquelle l’homme est Monsieur Gagnepain, mais elle ignore aussi les femmes célibataires, veuves ou divorcées. Bref, l’emploi des femmes est encore perçu comme contingent, fortuit. Ce stéréotype s’inscrit dans une longue histoire. Ainsi, il a fallu trente ans pour que les salaires des institutrices soient alignés sur ceux de leurs collègues masculins. Trente années de luttes. En période de chômage, on cherche à les renvoyer au foyer ; dans les années 30, plusieurs congrès ont gravement défendu l’idée qu’il y aurait du travail pour les 500 000 hommes au chômage si les salariées mariées se consacraient à leurs enfants. Quant au régime de Vichy, il a osé une restriction du travail des femmes mariées dans l’administration et les services publics. En période de prospérité, l’absence de travail salarié de l’épouse est exhibée comme une attestation de la réussite du mari. Plus récemment, le temps partiel a été présenté comme une panacée : il devait permettre de « concilier » vie professionnelle et vie familiale. Il libérait les femmes, comme Moulinex. En réalité, c’est le marché qui réclame ce type de travail. Et pourtant, les femmes résistent. Malgré les incitations diverses à revenir au foyer, malgré les déqualifications des emplois dits féminins, malgré les attaques idéologiques portées contre la légitimité de l’emploi des femmes, malgré les chausse-trappes de tous ordres, l’activité féminine progresse à la manière d’une lame de fond que rien n’arrête.

Cependant, face à la montée en puissance des bas et des très bas salaires, la colère commence à gronder. De plus, dans la grande distribution, les conditions sont particulièrement éprouvantes. C’est pourquoi les caissières d’un magasin de Carrefour de Marseille ont soutenu une grève de deux semaines. Leurs témoignages parus dans le journal Le Parisien du 25 février mériteraient de figurer sur tous les panneaux d’affichage : horaires flexibles et fractionnés, salaires dérisoires, harcèlement des chefs (une minute pour passer dix articles). « Le métier de caissière est un piège. C’est une chaîne qui vous met tout le temps sous pression ». Leur mobilisation n’a pas été vaine puisqu’elles ont obtenu une rémunération minimale au niveau du Smic (1280.- euros brut pour trente-cinq heures). Mais ce n’est qu’un début. Quant au groupe Carrefour, numéro un européen, il va bien : 1,8 milliard de bénéfices nets en 2006.

Marie-Josée SALMON.

(Extrait du Bulletin du Réseau Féministe « Ruptures » n° 292 – mars 2008)

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